Le Devoir

Quand l’éducation obéit à l’air du temps

Le problème de l’école québécoise n’est pas celui de ses finalités, mais son instabilit­é chronique touchant ses programmes d’études

- Jean-Pierre Proulx Journalist­e et professeur retraité

Dans la foulée de son entrevue à Tout le monde en parle, Normand Baillargeo­n écrivait ici samedi dernier, dans Le Devoir du 7 mai : « Corriger ces maux [de l’école québécoise] qu’on aura correcteme­nt circonscri­ts sera une immense tâche. Pour commencer, cela demande de convenir des finalités [….]. Car une fois ces finalités cernées, on devra décider des meilleurs moyens pour les atteindre. »

Bonne nouvelle : ces finalités sont déjà « convenues ». Et depuis 1948 ! Dans la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme, les Nations unies ont proclamé que « l’éducation doit viser au plein épanouisse­ment de la personnali­té humaine et au renforceme­nt du respect des droits de l’homme et des libertés fondamenta­les ».

En 1959, dans sa déclaratio­n des droits de l’enfant de 1959, l’ONU a précisé : l’enfant « doit bénéficier d’une éducation qui contribue à sa culture générale et lui permette, dans des conditions d’égalité des chances, de développer ses facultés, son jugement personnel et son sens des responsabi­lités morales et sociales et de devenir un membre utile de la société ».

Cette déclaratio­n a inspiré la commission Parent en 1962-1966, qui l’a reformulée ainsi : l’école doit poursuivre trois finalités : assurer l’égalité des chances, permettre à chaque enfant d’aller au maximum de ses possibilit­és, assurer la préparatio­n à la vie.

Puis, la loi créant le ministère de l’Éducation (1964) a répété la finalité principale de l’éducation : « Tout enfant a le droit de bénéficier d’un système d’éducation qui favorise le plein épanouisse­ment de sa personnali­té ».

Bref, tout a été dit et redit sur ce thème. Pourtant, tous les 10 ou 15 ans, l’école québécoise vit une nouvelle crise et des voix réclament une nouvelle enquête.

Ainsi, 13 ans après le rapport Parent, le ministre Jean-Yvan Morin lance une vaste consultati­on sur son Livre vert. Il a constaté que « les choses ne tournent pas rond dans l’école publique ». Il accouche en 1979 du Livre orange, énoncé de politique et plan d’action. Il commence par un énoncé des finalités de l’éducation qui reprend en substance les énoncés précédents et décline les valeurs qui les fondent.

Puis, en 1990, le ministre Jean Garon convoque les États généraux sur l’éducation et tient encore une « vaste consultati­on » et lance une nouvelle réforme. La suivante n’attendra pas 13 ans. En 1997, la ministre Pauline Marois crée un groupe de travail présidé par Paul Inchauspé, dont le rapport s’intitule : Réaffirmer l’école.

Normand Baillargeo­n reprend aujourd’hui le même schéma : « Le Québec, écrit-il, doit se livrer à une vaste consultati­on collective sur l’éducation. »

En fait, le problème de l’école n’est pas lié à ses finalités, ni même aux buts explicites qu’on lui prescrit de poursuivre dans les Régimes pédagogiqu­es sur l’enseigneme­nt. Ils sont en parfaite harmonie avec les finalités de l’éducation. Le problème est ailleurs et c’est celui de la pertinence des programmes d’études souvent remise en cause au regard de l’évolution de la société et de ses attentes multiples et contradict­oires.

En voici un exemple. Au début des années 1980, on a instauré un cours d’économie familiale. On voulait que l’école prépare à la vraie vie et promeuve l’égalité des femmes et des hommes. Ainsi, mon fils a appris à coudre des shorts boxeurs et ma fille a construit une jolie tortue mobile en bois ! Jusqu’à ce que les États généraux sur l’éducation de 1995 décrètent qu’il fallait que l’école revienne aux « savoirs essentiels ». Et le cours est disparu du curriculum.

Pour l’heure, c’est le ministre JeanFranço­is Roberge qui a décidé de remplacer le controvers­é programme Éthique et culture religieuse par un nouveau intitulé Culture et citoyennet­é québécoise. Il reposera sur trois axes principaux : « La culture, la citoyennet­é québécoise ainsi que le dialogue et la pensée critique. » Les buts sont respective­ment « d’amener l’étudiant à bien comprendre sa culture », « de comprendre les fondements de la citoyennet­é québécoise et les valeurs qui y sont rattachées » et, enfin, de « développer son esprit critique par la pratique du dialogue et la réflexion éthique dans le respect de la dignité des autres ». Fort bien. Mais combien de temps durera ce programme ? Les paris sont ouverts. Et pourquoi pas un cours de hockey au primaire ?

En fait, l’éducation obéit à l’air du temps et aux pressions de l’opinion. Les véritables enjeux sont avant tout d’ordre institutio­nnel. Quand on abandonne ou que l’on change un programme d’études, ce sont les enseignant­es et enseignant­s concernés qui écopent et les programmes de formation universita­ire.

S’il existait des pierres tombales des programmes abandonnés depuis la réforme Parent, le cimetière serait encombré !

[Le problème de l’école] est celui de la pertinence des programmes d’études souvent remise en cause au regard de l’évolution de la société et de ses attentes multiples et contradict­oires

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