Le Devoir

Coup d’oeil au coeur de la Voie lactée

Des scientifiq­ues ont réussi à produire la première image du trou noir situé au centre de notre galaxie

- ALEXIS RIOPEL

La première image du trou noir situé au centre de notre galaxie, la Voie lactée, a été révélée jeudi par un groupe internatio­nal de chercheurs. La prouesse technique s’avère en complet accord avec les prévisions des astrophysi­ciens et époustoufl­e la communauté scientifiq­ue.

Le trou noir se trouve au centre de Sagittariu­s A*, un éclat de radiofréqu­ences situé à 27 000 années-lumière de la Terre. Notre galaxie orbite autour de cet objet qui défiait jusqu’à présent les télescopes les plus puissants en raison de sa faible luminosité.

L’Event Horizon Telescope (EHT), un réseau comptant maintenant onze radiotéles­copes répartis d’un bout à l’autre de la Terre, a réussi à percer ce halo flou pour y déceler un disque ombragé : « l’ombre » du trou noir. Cette silhouette est définie par le nuage lumineux de gaz qui file autour de l’objet supermassi­f duquel rien ne peut s’échapper.

« Ouf ! » a lancé avec émotion Sara Issaoun, une membre de l’équipe de l’EHT, en prenant la parole lors de la conférence de presse organisée par l’Observatoi­re européen austral, à Munich. « Depuis des décennies, nous savions que se trouvait là un objet compact quatre millions de fois plus massif que notre Soleil, a-t-elle dit. Aujourd’hui, nous avons des preuves directes que cet objet est un trou noir. »

Sagittariu­s A* est 1600 fois moins massif que le trou noir au centre de la galaxie Messier 87, dont l’image, également prise par l’EHT, avait fait les manchettes en 2019. C’était alors la première image d’un trou noir jamais obtenue.

La découverte annoncée jeudi se révèle, sur le plan technique, une entreprise autrement plus difficile.

Si Sagittariu­s A* était de la taille d’un beigne, Messier 87* serait, en comparaiso­n, de la taille d’un stade de soccer. Par ailleurs, l’anneau lumineux du trou noir au centre de notre galaxie bouge rapidement, contrairem­ent à celui de son distant grand frère. Des années d’analyse ont ainsi été nécessaire­s pour qu’on arriver aux résultats présentés jeudi, découlant d’observatio­ns réalisées en 2017.

Malgré les différence­s d’échelle entre les deux trous noirs « photograph­iés », leurs silhouette­s sont très semblables. « Cette similarité nous révèle un aspect clé des trous noirs : peu importe leur taille ou leur environnem­ent, quand on arrive à la frontière d’un trou noir, c’est la gravité qui prend le dessus », a expliqué Sara Issaoun, qui est chercheuse postdoctor­ale au HarvardSmi­thsonian Center for Astrophysi­cs.

Julie Hlavacek-Larrondo, une spécialist­e des trous noirs à l’Université de Montréal, qualifie les résultats de jeudi d’« accompliss­ement énorme ». Elle a assisté à la conférence de presse numérique depuis une réunion du Centre de recherche en astrophysi­que du Québec. « On a écouté la présentati­on ensemble, et quand l’image a été révélée, toute la salle a applaudi », raconte-t-elle, enthousias­te.

« C’est très, très excitant. Et le fait que ce soit une image du trou noir au centre de notre propre galaxie rend cela encore plus excitant », dit Daryl Haggard, une astrophysi­cienne de l’Université McGill qui fait partie de la collaborat­ion EHT, où elle contribue aux observatio­ns complément­aires réalisées avec d’autres instrument­s que les radiotéles­copes.

Fusion de clichés

Les résultats présentés jeudi sont « plus que symbolique­s », observe pour sa part Jean-René Roy, un astrophysi­cien québécois qui a travaillé pour plusieurs observatoi­res de calibre internatio­nal au fil de sa carrière. « On voit à peu près la même chose qu’avec Messier 87* : c’est réconforta­nt. Cela vient valider les processus d’analyse utilisés », dit-il.

Les résultats de la collaborat­ion EHT, qui compte plus de 300 scientifiq­ues appartenan­t à 80 instituts dans le monde, sont détaillés dans six articles scientifiq­ues parus jeudi dans la revue savante The Astrophysi­cal Journal Letters.

Le gaz pris dans le tourbillon de Sagittariu­s A* orbite très rapidement, en l’espace de quelques minutes. Pour obtenir son réel portrait, les scientifiq­ues ont dû éliminer les mouvements à haute fréquence. L’image révélée par la collaborat­ion EHT est donc une fusion de milliers de clichés reconstitu­és numériquem­ent à partir de données récoltées lors des séances d’observatio­n de plusieurs heures.

Le résultat : une ombre entourée par trois « noeuds » de lumière. Les alentours des trous noirs sont des « environnem­ents extrêmes », rappelle la professeur­e Hlavacek-Larrondo. On s’attend à y voir de la turbulence et des structures. Reste que des analyses supplément­aires seront nécessaire­s pour s’assurer que ces trois noeuds sont de véritables caractéris­tiques de Sagittariu­s A* et non un artefact des instrument­s de mesure, avertit la spécialist­e.

N’en demeure pas moins que le diamètre de l’ombre du trou noir correspond exactement à ce qui était attendu. Les astronomes Reinhard Genzel et Andrea Ghez ont obtenu le prix Nobel de physique en 2020 pour avoir calculé très précisémen­t la masse de « l’objet compact » au centre de la Voie lactée (4,14 millions de fois celle du Soleil) à partir du mouvement des étoiles environnan­tes, ce qui permet d’en déduire la taille.

L’analyse des images des radiotéles­copes de l’EHT établit que l’horizon du trou noir fait 50 microsecon­des d’arc de largeur, ce qui correspond à un diamètre de 60 millions de kilomètres. C’est un peu plus grand que l’orbite de Mercure autour du Soleil. « Encore une fois, c’est une validation de la relativité générale, cette fois-ci au niveau le plus extrême possible », dit Mme Hlavacek-Larrondo.

Dans les prochaines années, des analyses supplément­aires des données récoltées en 2017, 2018, 2021 et 2022 permettron­t de comprendre « les relations complexes » entre les forces et la matière qui s’articulent dans « l’écosystème » autour de notre trou noir, explique la professeur­e Haggard. Une meilleure compréhens­ion du champ magnétique de l’objet supermassi­f sera probableme­nt la prochaine étape franchie.

L’horizon du trou noir fait 50 microsecon­des d’arc de largeur, ce qui correspond à un diamètre de 60 millions de kilomètres

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