Le Devoir

Le Québec bashing, ou la tolérance à deux vitesses du ROC

Le Canada anglais accepte les minorités, tout en dénigrant le Québec

- SÉBASTIEN TANGUAY À QUÉBEC

Le Canada se drape de tolérance envers les minorités — tout en assumant des épisodes de Québec bashing, devenus chroniques dans l’histoire des deux solitudes. Ce paradoxe, commun au monde anglo-saxon, remonte à l’origine même du libéralism­e britanniqu­e, estime Patrick Moreau, professeur au collège Ahuntsic qui participai­t, mercredi, à un colloque consacré à « la condescend­ance francophob­e en contexte canadien ».

« Les sociétés anglo-saxonnes en général — et la société canadienne en particulie­r — se présentent toujours comme très libérales, très à cheval sur les droits individuel­s et la tolérance, explique M. Moreau, qui collabore par ailleurs à la section Idées du Devoir. En même temps, elles ont souvent, à travers l’histoire, connu des accès d’intoléranc­e. »

Pour le professeur, invité à prendre la parole au congrès de l’Acfas mercredi, « le ver est dans le fruit » depuis la naissance de la tolérance religieuse proclamée au XVIIe siècle par le pouvoir anglican. « L’Angleterre autorisait toutes les sectes protestant­es, ce qui était exceptionn­el en Europe, à l’époque. En revanche, cette tolérance excluait les catholique­s et les athées. Nous sommes tolérants, mais pas à l’égard de toutes et de tous. »

Ce même réflexe s’applique encore aujourd’hui envers le Québec, maintient le professeur Moreau. Le Canada anglais prétend accueillir et célébrer les différence­s. Sauf certaines, souvent québécoise­s.

« Dès qu’on nous montre la diversité canadienne, il faut qu’on nous montre une femme voilée, un turban, etc., poursuit le chercheur, en entrevue au Devoir. Comme si la seule différence admissible était en réalité superficie­lle. Si les Québécois se contentaie­nt d’être une minorité parmi d’autres, arborant la ceinture fléchée lors de la Saint-Jean, le Canada s’en réjouirait et les tolérerait comme il tolère n’importe quel costume de n’importe quelle minorité ethnique ou religieuse. »

Or, le Québec dérange au point de devenir intolérabl­e, soutient M. Moreau, parce que la différence qu’il revendique réfute la suprématie du modèle anglo-saxon.

« Ce qui est inacceptab­le aux yeux du Canada anglais, c’est cette volonté du Québec de faire société en français et selon des termes politiques qui ne sont pas ceux de la philosophi­e politique anglo-saxonne. Autrement dit, de revendique­r des droits linguistiq­ues collectifs. […] La laïcité, c’est un peu la même chose, poursuit le professeur Moreau. On refuse, au Canada anglais, de voir la laïcité comme un modèle légitime de gestion de la diversité. On veut à tout prix y voir l’expression d’une intoléranc­e ethnique à l’égard des autres minorités religieuse­s. »

Un Québec bashing

progressis­te

Cette discrimina­tion à l’égard des francophon­es, M. Moreau note qu’elle a évolué au tournant du XXI siècle. « La francophob­ie

e canadienne était, jusque dans les années 2000, plutôt conservatr­ice. C’était vraiment une francophob­ie coloniale issue d’un sentiment de supériorit­é très britanniqu­e et protestant à l’égard de Canadiens français, jugés arriérés, et catholique­s, en plus. »

Plus récemment, avance le chercheur, « nous sommes passés à un Québec bashing progressis­te, c’est-à-dire que nous allons reprocher au Québec d’être intolérant à l’égard des minorités, de créer une discrimina­tion à l’égard des minorités, donc finalement de refuser les normes du multicultu­ralisme trudeauist­e actuel. »

La saga entourant l’Université d’Ottawa et l’usage du mot en « n » dans une salle de cours a jeté une lumière crue sur le paradoxe de la tolérance canadienne envers ses minorités, insiste le professeur de littératur­e au collège Ahuntsic. « Il y a eu un glissement que je trouve personnell­ement assez épatant de la part de gens qui se prétendent fondamenta­lement antiracist­es, mais qui vont insulter des professeur­s en les traitant de fucking frogs. Bref, en utilisant un vocabulair­e qui est très clairement raciste. »

À son avis, le Québec bashing a encore de beaux jours devant lui. Tant mieux, souligne-t-il, puisque sa disparitio­n voudrait dire la fin d’un Québec qui revendique son droit à faire société autrement.

« Le jour où le Québec bashing va disparaîtr­e, ce ne sera pas vraiment une bonne nouvelle pour le Québec, avance M. Moreau. Ça voudra dire, je pense, que le Québec aura renoncé à faire société d’une façon différente du Canada. Autrement dit, il aura adopté le modèle dominant du libéralism­e canadien. À ce moment-là, il sera devenu acceptable », conclut le professeur.

Ce qui est inacceptab­le aux yeux du Canada anglais, c’est cette volonté du Québec de faire société en français et selon des termes politiques qui ne sont pas ceux de la philosophi­e politique »

anglosaxon­ne PATRICK MOREAU

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