L’immigration en face
Le pays est connu pour ses paysages majestueux, son saumon fumé et sa tolérance proverbiale. Mais cette image d’Épinal est aujourd’hui écorchée. Le mois dernier, la Suède a en effet connu d’importantes émeutes. Durant tout le week-end pascal, des centaines de jeunes des banlieues islamisées du pays se sont rassemblés pour s’attaquer aux policiers, terroriser la population, mettre le feu à des voitures et se livrer à des pillages. À Malmö, une école a été brûlée. Les dégâts s’élèvent à plusieurs millions de dollars, sans compter la centaine de policiers blessés.
Le déclencheur de ces émeutes se nomme Rasmus Paludan, un provocateur professionnel qui dirige un parti danois ultranationaliste et qui se balade dans le nord de l’Europe en brûlant des exemplaires du Coran. Le geste a beau être d’une incommensurable bêtise, il n’a rien d’illégal, puisque le délit de blasphème a été supprimé en Suède en 1970.
Ce démagogue n’est pourtant que l’arbre qui cache la forêt. S’il a été le déclencheur de ces émeutes, il n’en est pas la cause. Force est de constater que, comme en France, de telles émeutes se répètent aujourd’hui régulièrement en Suède sans que l’intervention d’un tel hurluberlu soit nécessaire. La première ministre sociale-démocrate, Magdalena Andersson, a d’ailleurs décrit ces émeutes comme un geste qui n’avait « rien de politique », mais représentait plutôt une « attaque contre la démocratie ».
L’évolution de ce petit pays nordique qui possède de nombreux points communs avec le Québec devrait nous intéresser. Dès les années 1960, René Lévesque y voyait l’exemple d’une société égalitaire qui avait trouvé un judicieux équilibre entre État providence et libéralisme économique. Non seulement la population de la Suède est-elle comparable en nombre à la nôtre, mais, comme au Québec, la société suédoise a tendance à favoriser le consensus plutôt que les grands affrontements.
Pendant longtemps, ce royaume du nord à la population homogène ne connut pas beaucoup d’immigration. Il fut même un pays d’émigration, un peu comme le Québec, qui, à la fin du XIXe, subit un véritable exode vers les États-Unis. Entre 1985 et 2022, selon Tino Sanandaji, chercheur à l’Institut de recherche de la Stockholm School of Economics, la part de la population qui est non occidentale est passée de 2 % à 20 %. Pendant tout le début des années 2000, la Suède se targua même d’être une « superpuissance morale », le pays le plus accueillant d’Europe pour les réfugiés. Plus « ouvert sur le monde », tu meurs !
À cette époque, les médias expliquèrent que le pays n’avait pas le choix de s’ouvrir à l’immigration s’il voulait préserver son système social. Jusqu’à ce que les ratés de l’intégration commencent à apparaître au grand jour. Depuis deux décennies, cette population majoritairement de confession ou de culture luthériennes découvre avec stupéfaction le choc culturel, politique et civilisationnel que provoque une immigration massive venue de pays n’ayant ni la même culture ni les mêmes valeurs.
Si l’immigration se poursuivait à son rythme de la dernière décennie, 31 % de la population serait musulmane en 2050, d’après une étude du Pew Research Center. Or, à la faveur des bouleversements démographiques survenus en Suède dans les 30 dernières années, la criminalité a connu une hausse exponentielle. En 2020, on estimait que 32 des chefs de réseau criminel les plus recherchés du pays étaient issus de l’immigration.
Soucieuse de ne pas « faire le jeu » du Parti démocrate de Suède, un parti populiste radicalement opposé à l’immigration, la presse décrira les grandes émeutes de 2005 dans les banlieues françaises comme un phénomène exotique typiquement hexagonal. Pourtant, les mêmes causes créent les mêmes effets. Quelques années plus tard, des émeutes semblables ont éclaté en périphérie de Malmö (2009) et de Stockholm (2013). Depuis 20 ans, le pays voit se multiplier ces zones dites d’« exclusion sociale ». Zones qui deviennent progressivement des zones de non-droit.
Si l’exemple suédois doit nous intéresser, c’est aussi parce que, contrairement à la France et au Québec, le monde politique a eu le courage de regarder cette réalité en face. Il aura fallu trois décennies aux élites suédoises pour s’apercevoir qu’il existe des seuils objectifs à l’accueil de populations qui, pour des raisons multiples liées à la culture et au nombre, ne s’intègrent pas. Ou qui ne le feront qu’au bout de plusieurs générations. Même à gauche, l’immigration n’est plus considérée comme le tabou quasi religieux qu’elle est toujours au Québec. Sortie du seul diktat moral, elle est redevenue un sujet politique sur lequel peut et doit s’exercer la souveraineté populaire.
Après des décennies de déni, le parti social-démocrate au pouvoir s’est finalement rendu à la volonté de la majorité. En 2020, il a limité les entrées à 21 000 et considérablement restreint le droit d’asile. Le 28 avril dernier, la première ministre Magdalena Andersson a reconnu publiquement que l’intégration était un échec « qui a donné naissance à des sociétés parallèles et à la violence des gangs ». Une opinion partagée depuis des décennies par une majorité de Suédois, mais qui était réduite au silence de peur de voir s’abattre sur elle les accusations de racisme.
En Suède, la réalité a enfin repris ses droits face à l’ostracisme moral qui menace ceux qui osent poser la moindre question sur l’immigration. Il n’est jamais trop tard pour regarder la réalité en face.
Non seulement la population de la Suède est-elle comparable en nombre à la nôtre, mais, comme au Québec, la société suédoise a tendance à favoriser le consensus plutôt que les grands affrontements