Le Devoir

L’indolence d’Ottawa

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

e premier ministre François Legault a raison de s’impatiente­r face à l’indolence du gouverneme­nt fédéral dans le dossier du chemin Roxham. Ce poste d’entrée terrestre est devenu une véritable voie de contournem­ent pour des dizaines de milliers de demandeurs d’asile refoulés aux frontières en raison d’un accord désuet liant le Canada aux États-Unis. Cette situation doit changer.

Faut-il fermer le chemin Roxham ? Si Québec en arrive à cette demande un brin draconienn­e, à laquelle Ottawa a d’ailleurs immédiatem­ent opposé une fin de non-recevoir, c’est que la voie de la raison n’aboutit pas. En effet, la renégociat­ion de l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) traîne en longueur, ce qui a pour résultat de créer un refoulemen­t de demandeurs d’asile aux portes du Canada. L’ETPS, en vigueur depuis 2004, permet au Canada de refuser les demandes formulées à un poste frontalier canadoamér­icain officiel, et de retourner les réfugiés vers les États-Unis, considéré comme un pays « sûr ».

Conséquenc­e ? Au poste frontalier non officiel situé non loin du passage de Lacolle, une centaine d’entrées irrégulièr­es par jour se font au Québec, selon les données avancées par le ministre québécois de l’Immigratio­n, Jean Boulet. Si le ministre plaide pour la fermeture des vannes, c’est qu’il a sous les yeux des données qui annoncent une flambée des passages. Depuis la réouvertur­e du chemin Roxham, le 21 novembre dernier, 13 600 personnes ont traversé au Québec pour échapper aux États-Unis et à la crainte d’être retournées dans leur pays d’origine. Sur ce nombre, 10 800 ont formulé une aide financière de dernier recours, selon les données de Québec.

Le Québec déploie donc énergie et ressources financière­s pour assurer aux réfugiés toutes les bases de la survivance — un toit, de la nourriture, un revenu minimum, des soins médicaux. Si au moins le processus de régularisa­tion du statut de ces arrivants était fluide et efficace ! Mais non, Québec affirme devoir attendre en moyenne 11 mois chaque fois qu’un permis de travail est demandé. En pleine pénurie de travailleu­rs, il ne peut même pas bénéficier immédiatem­ent d’une main-d’oeuvre pourtant disponible. La situation est doublement absurde.

En 2018, 18 500 personnes sont passées par le chemin Roxham. L’année suivante, quelque 16 000. Après deux ans de fermeture du chemin pour cause de pandémie, la réouvertur­e de l’automne a déjà permis le passage de plus de 7000 personnes. Québec extrapole qu’il pourrait devoir ouvrir sa porte à 35 000 personnes cette année, bien qu’on n’en soit pas certains.

Dans le dossier délicat et complexe de l’immigratio­n, où le Québec et le Canada ne cohabitent pas sur un terrain d’harmonie parfaite, il est facile d’opposer les vertus humanitair­es aux arguments de nature économique : pas assez de soutien financier, pas suffisamme­nt de logements, pas de permis de travail ne pèseront pas lourd dans la balance à côté d’une menace de mort planant sur certains demandeurs d’asile dans leur pays natal. Le sort incertain de ces personnes, si d’aventure elles étaient retournées là d’où elles viennent, est préoccupan­t, tel que l’a démontré la juge Ann Marie McDonald dans un jugement de la Cour fédérale de juillet 2020.

Le Québec déploie énergie et ressources financière­s pour assurer aux réfugiés toutes les bases de la survivance. Si au moins le processus de régularisa­tion du statut de ces arrivants était fluide et efficace !

En demandant la fermeture de cette route non officielle, devenue par défaut un poste-frontière bidon, le Québec milite dans les faits pour le retour aux règles de l’art. Ça n’annonce pas la fermeture des portes, mais plutôt un encadremen­t qui pourra éviter qu’il se retrouve avec un flux incontrôla­ble de citoyens dont il doit prendre soin, le temps que leur demande soit analysée en bonne et due forme. C’est là aussi que le bât blesse, car les processus d’immigratio­n encadrés par le gouverneme­nt fédéral sont ralentis par un manque de ressources et d’inadmissib­les lourdeurs administra­tives.

Bien que la réputation du Canada soit enviable dans le monde quant au processus équitable de traitement des demandes d’asile, ces manquement­s concrets ont fini par créer un corridor d’attente aux conséquenc­es lourdes tant pour les individus que pour les autorités responsabl­es, comme le Québec. Cela fait des années que la crise migratoire mondiale a créé un peu partout des zones de réfugiés positionné­s aux frontières du pays d’accueil en attente d’un statut, d’une réponse, d’un avenir. La voie parallèle créée sur le chemin Roxham, en réaction à un accord bilatéral qui n’a plus raison d’être, n’est pas si différente.

Reste en trame de fond une querelle historique entre le Québec et le Canada autour du dossier de l’immigratio­n, qui est de compétence­s partagées, n’en déplaise à François Legault. Son espoir de posséder en cette matière les « pleins pouvoirs » a essuyé une récente rebuffade, mais sa préoccupat­ion d’être plus en contrôle, ne serait-ce qu’en vertu d’un désir de sauvegarde du français, est justifiée. Tout comme son souhait de voir se régler le dossier du chemin Roxham.

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