Le Devoir

L’éthique de la pédagogie au secours de la liberté universita­ire

Celle-ci garantirai­t la liberté d’enseigneme­nt aux professeur­s comme la liberté d’étudier aux étudiants

- Yao Assogba Sociologue et professeur émérite à l’Université du Québec en Outaouais (UQO)

Le débat ne peut être dépolarisé que par des échanges, un dialogue pour une compréhens­ion commune du principe fondamenta­l de liberté d’expression, de la liberté universita­ire, de la liberté de l’enseigneme­nt

Le mercredi 6 avril dernier, la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Danielle McCann, a déposé le projet de loi 32 qui obligera les université­s québécoise­s à se doter d’une politique de liberté de l’enseigneme­nt. Ce projet, qui fait actuelleme­nt l’objet de commentair­es en commission parlementa­ire, fait suite aux recommanda­tions de la Commission scientifiq­ue et technique indépendan­te sur la reconnaiss­ance de la liberté académique dans le milieu universita­ire sous la présidence d’Alexandre Cloutier. Cet hiver, j’ai donné à l’UQO une conférence intitulée « Cancel Culture et Liberté de l’enseigneme­nt », dans laquelle j’ai proposé une éthique de la pédagogie pour l’orientatio­n et l’applicatio­n d’une politique de la liberté de l’enseigneme­nt. Mon argumentai­re est le suivant.

Au cours des deux dernières années, le Québec a connu une controvers­e autour de la culture de l’annulation et de la liberté d’expression de l’enseigneme­nt universita­ire. Deux postures s’opposent. La première est celle des étudiants ou autres personnes qui interdisen­t l’usage de mots dans les cours, par suite d’une « conscience des injustices sociales présentes ou passées » et des chefs d’établissem­ent qui sont portés à acquiescer à cette interdicti­on. La seconde position est celle des universita­ires et autres qui, légitimeme­nt, dénoncent la censure et défendent la liberté académique.

Un constat s’impose. S’il y a eu débat, il s’est généraleme­nt déroulé dans un contexte de polarisati­on. À tort ou à raison, chaque camp refaisait l’histoire en diminuant ou en amplifiant les effets mis en cause. L’un affirme son historicit­é. L’autre la renvoie à une « idéologie des université­s américaine­s loin des valeurs de respect et de tolérances sur lesquelles se fondent nos démocratie­s », à « des idéologies et des méthodes directemen­t importées de certains campus universita­ires américaine­s qui sont à mille lieues des valeurs de respect et de tolérance sur lesquelles se fondent nos démocratie­s », lisait-on dans Le Devoir le 22 octobre 2021 sous la plume de JeanMichel Blanquer et de Jean-François Roberge, respective­ment ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports de la France et ministre de l’Éducation du Québec.

Mais paradoxale­ment, c’est au nom des mêmes principes de la démocratie que les deux camps perçoivent différemme­nt certains effets de l’histoire. Le débat ne peut donc être dépolarisé que par des échanges, un dialogue pour une compréhens­ion commune du principe fondamenta­l de liberté d’expression, de la liberté universita­ire, de la liberté de l’enseigneme­nt. On doit prendre également en considérat­ion la perspectiv­e historique du renouvelle­ment de la façon d’aborder et d’interpréte­r certains faits du passé et même du présent. Ce consensus pourrait se réaliser autour de ce que j’appelle l’« éthique de la pédagogie ».

L’éthique de la pédagogie est basée sur le respect dévolu à la dignité de la personne. Elle détermine les normes communes de régulation des demandes et des réponses entourant certaines questions. L’éthique de la pédagogie implique l’éducation des enseignant­s et des enseignés à l’histoire ainsi que leur éducation à certains aspects de la culture générale et spécifique, comme cela se fait aujourd’hui pour les questions de sécurité et de santé.

L’éthique de la pédagogie garantirai­t la liberté d’enseigneme­nt aux professeur­s, et la liberté d’étudier aux étudiants dans un contexte de dialogue pédagogiqu­e. Chaque université pourra mettre sur pied un comité de l’éthique de l’enseigneme­nt qui définira les grands principes autant que des pratiques de l’éthique de la pédagogie.

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