Alsace 1, Bourgogne 0
« Les changements climatiques ont déjà un impact manifeste sur le terrain, et c’est bien pourquoi nous considérons, au Domaine Albert Mann, le surgreffage de plants de syrah sur quelques parcelles expérimentales », expliquait l’Alsacienne Marie-Thérèse Barthelmé lors de sa visite au Québec cette semaine en sirotant une flûte de l’excellent Grains de Celles de Pierre Gerbais (52 $ – 13647014 – (5)
1/2). Un champagne dont le ton et le naturel convaincant invitaient la volubile vigneronne à redoubler de passion pour son beau coin de pays.
De la syrah en Alsace ? L’idée n’est peut-être pas si bête. « Ce ne sera facile pour personne, poursuit-elle, car il faudra revoir nos modes de culture, surtout pour des vignobles comme la Bourgogne, réputée pour ses fins pinots noirs. » Nebbiolo et grenache noir y remplaceront-ils un jour l’illustre noirien ? Il faudra s’adapter à une réalité nouvelle, en tout point inéluctable, car, ici comme ailleurs, le quart de siècle à venir promet une révolution, voire un défi sans précédent, sur le plan de la viticulture mondiale.
Alsace et Bourgogne. Ces deux prestigieuses appellations françaises, réputées pour la grande finesse de leurs vins, offrent quelques similarités qui méritent d’être soulignées. En tentant de les circonscrire, on s’aperçoit toutefois qu’il se dégage un avantage de taille chez l’une d’elles. De quel avantage s’agit-il et quelle est l’appellation qui en revendique le mérite ? Décortiquons ici pour y boire clair en soupesant le tout de part et d’autre.
La Bourgogne. Sur le plan géographique, le pays viticole de Philippe le Hardi s’étire sur une mince bande de 150 kilomètres de long entre Chablis et Mâcon totalisant une surface plantée de quelque 30 052 hectares. Sur le plan ampélographique, il affiche six cépages pour des jus livrés à hauteur de 60 % en blanc. La production bourgogne couvre 47 % en appellations villages et premiers crus, 52 % en appellations régionales pour seulement 1 % en grands crus. Au dernier décompte, 17 % des surfaces plantées relevaient ici de l’agriculture biologique.
Points communs avec sa voisine alsacienne sise au nord-est ? Une orientation sud–sud-est des parcelles semblables, mais surtout capitale pour une maturation optimale des baies ainsi qu’une altitude moyenne de 250 mètres à la mipente, où se concentrent les meilleurs crus. Toutes deux partagent un climat continental alternant hiver frais et été chaud, bien que l’Alsace soit réputée pour son ensoleillement idéal ainsi que pour sa pluviométrie des plus faibles de France. Sols et sous-sols sont, dans les deux cas, fort complexes sur le plan de leur mosaïque d’ensemble, avec jusqu’à 13 familles géologiques différentes en ce qui a trait à l’Alsace. Une pédologie meilleure pour autant ? Disons, différente. Stylistiquement, ces deux appellations proposent des vins fins, digestes, élégants, racés et, dans le meilleur des cas, de longue garde.
L’Alsace pour sa part déroule sur 120 kilomètres ses 15 623 hectares, dont la dizaine de cépages autorisés assure 70 % de la production en appellation communale et en Alsace « lieux-dits », contre 26 % pour les crémants et 4 % en grands crus. Les blancs dominent ici à hauteur 90 % de la production totale. En hausse, la filière bio (et biodynamique) avoisine 15 % de l’offre proposée.
Là où le bât blesse, et comme le soulignait si justement la vigneronne de Wettolsheim, « ce sont les prix qui, en Bourgogne, permettent de moins en moins de fidéliser le consommateur, qui se tourne vers d’autres régions… » Les prix, nous y voilà ! Vérification faite, l’Alsace emporte ici le morceau et gagne haut la main. Comparons les extrêmes. Par exemple, au bas de la hiérarchie, ce Pinot blanc auxerrois 2019 bio du Domaine Albert Mann, bientôt offert à la SAQ (25,35 $ – 14955625 – (5) ), et son équivalent Aligoté de Bourgogne : match nul côté qualité/prix/authenticité.
Tout s’inverse cette fois en ce qui a trait au sommet de la pyramide des grands crus. Sur le site de la SAQ, le moins cher des 51 grands crus alsaciens démarrait, au moment où ces lignes étaient écrites, à 25,75 $ pour culminer à 162, 50 $ pour une sélection de grains nobles. Moyenne de prix selon l’offre SAQ pour l’Alsace grand cru : 68 $. Le site du monopole affichait une tout autre réalité pour la Bourgogne. Le prix plancher de l’un ou l’autre des 33 grands crus proposés ? 68 $. Le plus élevé ? 4370 $. Calculez la moyenne. Il y a des chiffres qui donnent le tournis !
Qu’est-ce qui différencie ces deux prestigieuses appellations françaises ?