Le Devoir

Dépassé, le zonage unifamilia­l ?

À Sainte-Catherine comme ailleurs, cette formule classique est remise en question

- ISABELLE PORTER ET JEANNE CORRIVEAU LE DEVOIR

Pour contrer l’étalement urbain, le zonage unifamilia­l doit sortir de son carcan et cesser d’être le modèle de développem­ent par défaut des municipali­tés, plaident de plus en plus d’experts. Inspirés par le modèle de Minneapoli­s, ils préconisen­t une petite révolution du zonage.

En décembre 2018, le conseil municipal de la métropole du Minnesota a adopté un plan pour mettre fin au zonage exclusivem­ent unifamilia­l sur tout son territoire. Dès lors, ceux qui le souhaitera­ient pourraient aussi construire des duplex et triplex un peu partout. Trois visées motivaient alors les élus : la réduction des gaz à effet de serre, la baisse des prix des logements et la lutte contre les inégalités raciales.

Une petite révolution qui fait beaucoup jaser aux États-Unis, mais également plus au nord. « Quand on parle de densifier, on parle de quoi ? » écrivait récemment le directeur de l’organisme Vivre en ville, Christian Savard, dans un billet. « Ma préférence irait à autoriser de plein droit, partout, des bâtiments de trois étages, pour permettre une densificat­ion à échelle humaine. C’est le choix qu’a fait la Ville de Minneapoli­s… »

Au Québec, aucune ville n’est allée aussi loin en matière de réglementa­tion, mais certaines municipali­tés desserrent les gonds du zonage unifamilia­l. C’est le cas notamment de Sainte-Catherine.

Entrée en scène des UHA

Dans cette municipali­té de la banlieue sud de Montréal, il n’y a plus de terrains disponible­s pour de nouvelles constructi­ons. La Ville a donc adopté un nouveau règlement afin d’autoriser la constructi­on d’unités d’habitation accessoire­s (UHA). Ce concept permet d’ajouter une habitation secondaire sur un terrain déjà occupé par une maison unifamilia­le et, du même coup, favoriser une densificat­ion « douce ». À la différence des maisons intergénér­ationnelle­s, pour lesquelles des aires communes sont requises, les UHA sont des habitation­s indépendan­tes qui peuvent être louées à des proches ou à des personnes non apparentée­s.

Mais la Ville n’entend pas permettre n’importe quoi n’importe où, prévient Marie-Josée Halpin, directrice du Service de l’aménagemen­t du territoire de Sainte-Catherine. « Il va falloir qu’elle s’agence à la maison unifamilia­le à côté de laquelle elle est construite. Il y a des règles pour l’aménagemen­t paysager pour préserver l’intimité du logement principal, de l’UHA et celle des voisins, explique-t-elle. On a travaillé pour que l’aspect physique des quartiers change le moins possible. On ne veut pas que ça ressemble à des duplex. »

L’unifamilia­le déjà en déclin autour de Montréal

En 2002, la moitié des nouvelles constructi­ons sur le territoire des 82 municipali­tés de la Communauté métropolit­aine de Montréal (CMM) étaient des unifamilia­les. Ce taux a chuté à 7 % en 2021. Dans les couronnes comprises dans le périmètre de la CMM, ce taux atteignait 75 % en 2002.

En 2012, la CMM a d’ailleurs adopté son Plan métropolit­ain d’aménagemen­t et de développem­ent (PMAD) qui détermine le périmètre d’urbanisati­on de manière à éviter le dézonage de terres agricoles. Les municipali­tés sont ainsi appelées à densifier leur territoire autour des axes de transport.

Comme dans d’autres villes de la CMM, les terrains sur lesquels construire de nouveaux lotissemen­ts sont devenus rares à Candiac. Deux projets de densificat­ion sont en chantier. Le TOD de la gare (Transit-Oriented Developmen­t), situé à proximité de la gare d’Exo, comportera 3000 maisons de ville et habitation­s multifamil­iales avec une densité de 67 logements par hectare.

L’autre projet est le Square Candiac, un POD (Pedestrian-Oriented Developmen­t) de 1700 logements situé en face de l’hôtel de ville sur un ancien site industriel. « L’idée, c’est de créer des milieux de vie avec de la mixité, des espaces publics et où les gens n’auront pas à utiliser leur voiture pour aller dans les services de proximité », indique le maire, Normand Dyotte.

Mais attention, l’éclatement du zonage unifamilia­l n’est pas avisé partout, prévient Catherine Boisclair, coordonnat­rice chez Vivre en ville.

Mme Boisclair participai­t cette semaine à un panel sur le thème de la densificat­ion au congrès annuel de l’Union des municipali­tés du Québec (UMQ). « S’il n’y a pas de transport en commun à proximité, on ne densifie pas là », tranche-t-elle. Pourquoi ? Parce qu’on risque notamment de manquer de stationnem­ents et de se retrouver avec des cours « entièremen­t asphaltées » comme ce qui s’est vu à Longueuil, où la densificat­ion, qui a signifié la suppressio­n d’espaces verts et la démolition d’unifamilia­les, a été vivement dénoncée.

Mesure impopulair­e et débat très émotif

Longueuil est loin d’être un cas unique. À bien des endroits, le mot « densificat­ion » a désormais une connotatio­n si négative que ses partisans doivent parler de densificat­ion « douce », « intelligen­te » ou « verte » pour ouvrir les discussion­s.

Ce fut notamment le cas à Québec dans les années 2014-2015, quand les politiques de densificat­ion de l’administra­tion Labeaume ont suscité une levée de boucliers dans le secteur de SainteFoy–Sillery. Là comme ailleurs, les résidents voyaient de petites maisons être détruites et remplacées par d’immenses palaces n’abritant pas nécessaire­ment plus de locataires… Or, les villes ont des outils pour empêcher de telles dérives, prévient Mme Boisclair.

Paradoxale­ment, la densificat­ion fait déjà partie de notre réalité depuis des décennies, fait valoir l’urbaniste Charlotte Montfils-Ratelle qui, elle aussi, était invitée au panel de l’UMQ cette semaine. « On fait comme si on commençait à toucher à ça, mais il y a des villes qui en font déjà sans même y penser. On pense au petit village où le snack-bar ferme et est remplacé par un projet d’habitation plus dense avec des bureaux, ou un commerce et des logements. »

Sur le terrain, Charlotte MontfilsRa­telle a souvent pu constater à quel point le débat sur ces questions est épidermiqu­e. « On touche au sociocultu­rel. C’est vraiment un blocage. Les gens vont s’imaginer qu’il va y avoir une perte de caractère dans leur quartier, qu’ils vont perdre leur intimité… »

À l’inverse, les gens qui densifient leur propriété sont souvent engagés de façon très personnell­e dans leur projet, observe-t-elle. « Les UHA, c’est émotif, ce sont des projets de vie. Les gens font ça avec leur famille, avec leurs amis. » D’ailleurs, malgré la forte résistance au concept de densificat­ion, les gens se montrent plus ouverts lorsqu’il est question de projets bigénérati­onnels, fait-elle remarquer.

Pénurie de logements et impact

Chose certaine, la pénurie de logements et la crise immobilièr­e sont venues fourbir les arguments des tenants de la densificat­ion. « La monster house, qui va pouvoir se la payer dans la jeune génération ? » s’interroge Mme Montfils-Ratelle.

Or, la révision du zonage unifamilia­l ne permettra pas à elle seule d’héberger tout le monde, plaide Catherine Boisclair. « Ça prend un cocktail de solutions. »

D’ailleurs, à Minneapoli­s, les changement­s sont modestes. Ainsi, la réforme de 2018 n’a entraîné la constructi­on que de 23 immeubles supplément­aires à deux et trois étages entre son entrée en vigueur, en janvier 2020, et le mois d’août 2021, selon un bilan du quotidien local Star Tribune.

Il reste à voir si ces nouveaux modèles figureront dans la Politique nationale de l’architectu­re et de l’aménagemen­t du territoire que doit présenter sous peu la ministre des Affaires municipale­s Andrée Laforest. Contrairem­ent à son collègue François Bonnardel, cette dernière a laissé entendre cette semaine que la densificat­ion n’était pas qu’une simple mode. « Dans les dernières décennies, il y a eu des condos, il y a eu des résidences, c’est ce que vous avez construit […]. Maintenant, il y a moyen de construire autrement. Il y a des plex, il y a des maisons en rangée, il y a des maisons multigénér­ationnelle­s. Donc, oui, il y a des moyens. »

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