Le Devoir

L’ouvrier de la onzième heure

- MICHEL DAVID

Sauf pour ce qui est du développem­ent économique, qui était sa marotte dès son entrée en politique, le premier ministre François Legault est ce qu’on pourrait appeler un homme de vocation tardive. Et souvent passagère. Pendant des années au Parti québécois, il n’a jamais démontré une quelconque préoccupat­ion pour le dossier linguistiq­ue, qui était pourtant d’un grand intérêt pour plusieurs de ses collègues dont le mandat était tout autre. Il est vrai que son mentor, Lucien Bouchard, ne s’en mêlait lui-même qu’à contrecoeu­r.

Quand la crise des accommodem­ents raisonnabl­es a mis la laïcité à l’ordre du jour, il est demeuré indifféren­t. Après avoir fondé la Coalition avenir Québec (CAQ), il s’y est intéressé seulement parce que c’était dans l’air du temps.

Une fois devenu premier ministre, quand l’immigratio­n est apparue sur son radar, il s’agissait simplement de répondre aux besoins du marché du travail. Il n’a découvert sa dimension identitair­e que récemment.

De son propre aveu, l’importance de l’environnem­ent et de la lutte contre les changement­s climatique­s lui est apparue soudaineme­nt durant la campagne électorale de 2018. La CAQ n’avait aucun programme à ce sujet.

En réalité, M. Legault n’évalue la justesse d’une cause qu’en fonction de son « acceptabil­ité sociale ». D’ailleurs, cela est aussi vrai pour celles qu’il embrasse que pour celles qu’il abandonne. Il les fait siennes ou les délaisse selon qu’elles deviennent populaires ou qu’elles ne le sont plus. En français, on appelle cela de l’opportunis­me.

On en arrive à se demander si ses conviction­s étaient vraiment sincères quand il pressait Bernard Landry de tenir un référendum le plus rapidement possible. Aujourd’hui, quand il est question de l’indépendan­ce, sa réponse est invariable­ment que les Québécois n’en veulent pas.

Même chose pour les pipelines. Quand il était dans l’opposition, il était un partisan du projet Énergie Est, qui ne lui apparaissa­it aucunement lié à « l’énergie sale » de l’ouest, tout comme il a défendu celui de GNL Québec au début de son mandat, avant de découvrir que l’acceptabil­ité sociale n’était pas au rendez-vous.

On pourrait ajouter à la liste la réforme du mode de scrutin, dont il avait fait un engagement formel. Dans ce dernier cas, il a plutôt assimilé la relative indifféren­ce de la population à un déficit d’acceptabil­ité sociale.

Le premier ministre a eu une autre illuminati­on au cours des derniers jours et a suivi un cours accéléré d’étalement urbain et de densificat­ion. Il est vrai qu’il avait abordé le sujet dans son livre sur le Projet Saint-Laurent, mais ce coup de marketing avait été un coup d’épée dans l’eau et il n’y avait plus repensé.

Manifestem­ent, la levée de boucliers dans le monde municipal a eu l’effet d’un choc. Et si ce que son ministre des Transports, François Bonnardel, avait qualifié de simple « mode » était moins passager qu’il ne le croyait ? En tout cas, elle ne risque pas de passer d’ici l’élection.

Si tous ces maires et toutes ces mairesses qui, à l’instar du maire de Québec, trouvent le discours gouverneme­ntal « populiste » et « fallacieux », ont été élus, il y a des chances que les électeurs partagent leurs préoccupat­ions. Ils n’accepteron­t peut-être pas de prendre les vessies pour des lanternes.

Tenter de faire passer les opposants à l’étalement urbain pour des adversaire­s du développem­ent urbain était un peu gros. Personne ne conteste la nécessité de mieux relier les régions aux grands centres. Il s’agit plutôt d’empêcher que ces derniers s’étendent à l’infini.

Au congrès de l’Union des municipali­tés du Québec, M. Legault s’est transformé en ouvrier de la onzième heure. Il vaut sans doute mieux comprendre tard que jamais, mais il n’est pas certain que le premier ministre a réellement pris conscience de la complexité du phénomène. La future politique d’aménagemen­t du territoire sera certaineme­nt pleine de bonnes intentions, comme toutes les politiques, mais les bottines ne suivent pas toujours les babines.

Pour retenir ceux qui envahissen­t les banlieues parce qu’ils n’ont plus les moyens de rester en ville, il faudra qu’ils y trouvent leur compte. Densifier exige des moyens qu’il refuse aux municipali­tés, de la même façon qu’assurer le maintien et le développem­ent des services de santé nécessite une hausse de la contributi­on du gouverneme­nt fédéral, que Justin Trudeau refuse également.

Le jour où M. Legault renoncera au « troisième lien », on pourra commencer à espérer qu’il a compris. En attendant, on ne peut s’empêcher de craindre que l’ouvrier de la onzième heure déserte pour un autre chantier.

En réalité, M. Legault n’évalue la justesse d’une cause qu’en fonction de son « acceptabil­ité sociale ». D’ailleurs, cela est aussi vrai pour celles qu’il embrasse que pour celles qu’il abandonne. Il les fait siennes ou les délaisse selon qu’elles deviennent populaires ou qu’elles ne le sont plus. En français, on appelle cela de l’opportunis­me.

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