L’ouvrier de la onzième heure
Sauf pour ce qui est du développement économique, qui était sa marotte dès son entrée en politique, le premier ministre François Legault est ce qu’on pourrait appeler un homme de vocation tardive. Et souvent passagère. Pendant des années au Parti québécois, il n’a jamais démontré une quelconque préoccupation pour le dossier linguistique, qui était pourtant d’un grand intérêt pour plusieurs de ses collègues dont le mandat était tout autre. Il est vrai que son mentor, Lucien Bouchard, ne s’en mêlait lui-même qu’à contrecoeur.
Quand la crise des accommodements raisonnables a mis la laïcité à l’ordre du jour, il est demeuré indifférent. Après avoir fondé la Coalition avenir Québec (CAQ), il s’y est intéressé seulement parce que c’était dans l’air du temps.
Une fois devenu premier ministre, quand l’immigration est apparue sur son radar, il s’agissait simplement de répondre aux besoins du marché du travail. Il n’a découvert sa dimension identitaire que récemment.
De son propre aveu, l’importance de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques lui est apparue soudainement durant la campagne électorale de 2018. La CAQ n’avait aucun programme à ce sujet.
En réalité, M. Legault n’évalue la justesse d’une cause qu’en fonction de son « acceptabilité sociale ». D’ailleurs, cela est aussi vrai pour celles qu’il embrasse que pour celles qu’il abandonne. Il les fait siennes ou les délaisse selon qu’elles deviennent populaires ou qu’elles ne le sont plus. En français, on appelle cela de l’opportunisme.
On en arrive à se demander si ses convictions étaient vraiment sincères quand il pressait Bernard Landry de tenir un référendum le plus rapidement possible. Aujourd’hui, quand il est question de l’indépendance, sa réponse est invariablement que les Québécois n’en veulent pas.
Même chose pour les pipelines. Quand il était dans l’opposition, il était un partisan du projet Énergie Est, qui ne lui apparaissait aucunement lié à « l’énergie sale » de l’ouest, tout comme il a défendu celui de GNL Québec au début de son mandat, avant de découvrir que l’acceptabilité sociale n’était pas au rendez-vous.
On pourrait ajouter à la liste la réforme du mode de scrutin, dont il avait fait un engagement formel. Dans ce dernier cas, il a plutôt assimilé la relative indifférence de la population à un déficit d’acceptabilité sociale.
Le premier ministre a eu une autre illumination au cours des derniers jours et a suivi un cours accéléré d’étalement urbain et de densification. Il est vrai qu’il avait abordé le sujet dans son livre sur le Projet Saint-Laurent, mais ce coup de marketing avait été un coup d’épée dans l’eau et il n’y avait plus repensé.
Manifestement, la levée de boucliers dans le monde municipal a eu l’effet d’un choc. Et si ce que son ministre des Transports, François Bonnardel, avait qualifié de simple « mode » était moins passager qu’il ne le croyait ? En tout cas, elle ne risque pas de passer d’ici l’élection.
Si tous ces maires et toutes ces mairesses qui, à l’instar du maire de Québec, trouvent le discours gouvernemental « populiste » et « fallacieux », ont été élus, il y a des chances que les électeurs partagent leurs préoccupations. Ils n’accepteront peut-être pas de prendre les vessies pour des lanternes.
Tenter de faire passer les opposants à l’étalement urbain pour des adversaires du développement urbain était un peu gros. Personne ne conteste la nécessité de mieux relier les régions aux grands centres. Il s’agit plutôt d’empêcher que ces derniers s’étendent à l’infini.
Au congrès de l’Union des municipalités du Québec, M. Legault s’est transformé en ouvrier de la onzième heure. Il vaut sans doute mieux comprendre tard que jamais, mais il n’est pas certain que le premier ministre a réellement pris conscience de la complexité du phénomène. La future politique d’aménagement du territoire sera certainement pleine de bonnes intentions, comme toutes les politiques, mais les bottines ne suivent pas toujours les babines.
Pour retenir ceux qui envahissent les banlieues parce qu’ils n’ont plus les moyens de rester en ville, il faudra qu’ils y trouvent leur compte. Densifier exige des moyens qu’il refuse aux municipalités, de la même façon qu’assurer le maintien et le développement des services de santé nécessite une hausse de la contribution du gouvernement fédéral, que Justin Trudeau refuse également.
Le jour où M. Legault renoncera au « troisième lien », on pourra commencer à espérer qu’il a compris. En attendant, on ne peut s’empêcher de craindre que l’ouvrier de la onzième heure déserte pour un autre chantier.
En réalité, M. Legault n’évalue la justesse d’une cause qu’en fonction de son « acceptabilité sociale ». D’ailleurs, cela est aussi vrai pour celles qu’il embrasse que pour celles qu’il abandonne. Il les fait siennes ou les délaisse selon qu’elles deviennent populaires ou qu’elles ne le sont plus. En français, on appelle cela de l’opportunisme.