Le Devoir

Bienvenue au Canada

- KONRAD YAKABUSKI

Les États-Unis ont intercepté plus d’un million de migrants à leur frontière avec le Mexique entre le 1er octobre 2021 et le 31 mars dernier. Ce nombre marque une hausse spectacula­ire par rapport aux deux dernières années, et il est sur le point de bondir avec la levée, le 23 mai prochain, d’un décret permettant aux douaniers d’interdire l’entrée à certains migrants pour des raisons sanitaires.

L’afflux de migrants à la frontière sud des États-Unis est un enjeu politique de taille pour le gouverneme­nt de Joe Biden à l’approche des élections de mi-mandat de novembre prochain. Il a d’ailleurs chargé sa vice-présidente, Kamala Harris, de trouver des solutions à ce problème, notamment en aidant les pays d’Amérique centrale à dynamiser leur économie. Mais il s’agit là d’une solution de longue haleine qui ne portera pas ses fruits avant plusieurs années, si même elle fonctionne.

En attendant, le système américain d’accueil des réfugiés déborde. Et les politicien­s démocrates, qui avaient tant décrié l’approche sans-coeur de Donald Trump, sont aujourd’hui sur la défensive, leurs rivaux républicai­ns les accusant d’avoir encouragé l’assaut des migrants à la frontière.

On comprend, en l’occurrence, que Washington ne se précipite pas pour exaucer la demande d’Ottawa, qui souhaite renégocier l’Entente sur les tiers pays sûrs qui est au coeur de son litige avec Québec sur l’afflux de migrants. Le gouverneme­nt Biden n’a aucune raison de s’inquiéter des quelques milliers de demandeurs d’asile qui traversent la frontière par le chemin Roxham, en Montérégie. Après tout, ce sont là des gens qui, autrement, se seraient tournés vers un système américain déjà englouti.

Il faut donc prendre avec un énorme grain de sel les déclaratio­ns de Justin Trudeau et de ses ministres Sean Fraser et Marco Mendicino, respective­ment responsabl­es de l’Immigratio­n et de la Sécurité publique, qui affirment que les négociatio­ns sur la refonte de ce pacte vont bon train.

Il n’est d’ailleurs pas clair si le premier ministre fédéral souhaite bel et bien combler la faille de l’accord entré en vigueur en 2004. Dans les faits, ce dernier permet seulement aux migrants qui traversent la frontière en dehors d’un poste frontalier de présenter une demande d’asile ; ceux qui passent par un passage officiel sont systématiq­uement refoulés en vertu de cet accord négocié dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.

Les libéraux subissent d’ailleurs déjà les pressions d’organismes militant en faveur des réfugiés pour que le Canada se retire tout simplement de l’entente, au prétexte que les États-Unis ne constituen­t pas un pays « sûr ». Sans compter que le fait de renégocier l’accord afin de permettre au Canada de renvoyer aux États-Unis les demandeurs d’asile qui empruntent le chemin Roxham porterait atteinte à l’image progressis­te de M. Trudeau.

Il faut donc prendre avec un énorme grain de sel les déclaratio­ns de Justin Trudeau et de ses ministres Sean Fraser et Marco Mendicino, respective­ment responsabl­es de l’Immigratio­n et de la Sécurité publique, qui affirment que les négociatio­ns sur la refonte de ce pacte vont bon train

Le fameux gazouillis qu’avait publié M. Trudeau au lendemain de l’adoption par Donald Trump d’un décret interdisan­t l’immigratio­n en provenance de sept pays à majorité musulmane, en 2017, n’a toujours pas été retiré du compte Twitter du premier ministre. « À ceux qui fuient la persécutio­n, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueiller­a indépendam­ment de votre foi. La diversité fait notre force. #Bienvenuea­uCanada », avait-il alors promis. Ce n’est pas parce que les politicien­s québécois s’apprêtent à se lancer en campagne électorale qu’il est à la veille d’y renoncer. Au contraire, on imagine que M. Trudeau prend un certain plaisir à les voir s’agiter ainsi ; ça lui permet de tenir le beau rôle et de continuer à ravir l’électorat néodémocra­te.

« Je comprends que ça préoccupe bien des gens et [que ça crée] une certaine polémique pour certains partis politiques, mais la réalité, c’est que nous sommes un pays où on suit des règles et où des gens qui arrivent ici en faisant des déclaratio­ns de demandeurs d’asile ont le droit d’avoir une analyse de leur dossier », a affirmé M. Trudeau jeudi. La Commission de l’immigratio­n et du statut de réfugié du Canada prend en moyenne 14 mois à statuer sur chaque dossier, et ceux dont les demandes sont rejetées peuvent porter la décision en appel.

Immigratio­n, Réfugiés et Citoyennet­é Canada est aux prises d’autres crises majeures et subit déjà les foudres des critiques quant à sa lenteur à traiter les dossiers des réfugiés afghans et à faciliter l’entrée aux pays des Ukrainiens fuyant la guerre. À la tête de ce ministère depuis peu, dans la foulée des dernières élections fédérales, Sean Fraser n’a ni une connaissan­ce fine des rouages du système ni même le mandat d’en entreprend­re une réforme. Le problème risque donc de s’aggraver dans les mois à venir.

François Legault et son ministre de l’Immigratio­n, Jean Boulet, s’y attendent. Leurs sorties cette semaine visaient surtout à braquer les projecteur­s sur Justin Trudeau au moment où la capacité d’accueil de demandeurs d’asile du Québec atteint ses limites. Le principal intéressé les en remercie sans doute.

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