Le Devoir

De quoi avait l’air l’île d’Orléans en 1689 ?

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU LE DEVOIR

L’intérêt des Québécois pour l’île d’Orléans n’est pas à la veille de faiblir. Isabelle Paradis et Nico Lefrançois, deux passionnés d’histoire, donnent au passé de cette île mythique, chacun à sa façon, une nouvelle dimension.

« Je me suis dit que ce serait bien de savoir où vivaient exactement les ancêtres d’un grand nombre de Québécois », explique Nico Lefrançois, un généalogis­te passionné doublé d’un amateur d’histoire. Grâce à Google Earth et à son travail patient, les curieux peuvent voir exactement, à peu de chose près, où étaient la terre et la demeure de plusieurs de ces colons européens.

Nico Lefrançois a projeté, dans des représenta­tions numériques géolocalis­ées, des données historique­s. Elles permettent de situer les premières habitation­s européenne­s sur cette île mythique et les terres de leurs occupants.

Ce travail de moine, Nico Lefrançois s’y consacre à titre personnel. « C’est ma passion. Je m’intéresse à la généalogie depuis que j’ai 11 ans. J’en ai 53. De fil en aiguille, je me suis intéressé aux territoire­s des origines, aux cartes qui les décrivaien­t, aux travaux des généalogis­tes qui nous permettent d’avoir un portrait plus large. » C’est tout cela qu’il tente de mettre à profit.

Son travail sur l’île repose sur la précision des cartes de Robert de Villeneuve, ingénieur du roi Louis XIV. Connu comme cartograph­e, et dessinateu­r, Villeneuve fut probableme­nt élève du célèbre Vauban, à qui l’on doit plusieurs places fortes. « À partir d’une de ses cartes et des quelques bâtiments d’époque encore debout, j’ai fait les calculs pour positionne­r les bâtiments dont Villeneuve donne l’emplacemen­t. Avec Google Earth et à la géolocalis­ation, j’obtiens un portrait très précis. »

Grâce à Google Earth et au travail patient de Nico Lefrançois, les curieux peuvent voir exactement, à peu de chose près, où étaient la terre et la demeure de plusieurs de ces colons européens.

« C’est à partir de la carte de Villeneuve et des bâtiments encore existants que je travaille. Si Villeneuve a bien pris ses mesures avant de publier sa carte, je suis dans le vrai ! Et il faut se fier à lui, je crois. » Sur sa carte, l’ingénieur du roi a pris la peine de préciser que tout a été « mesuré très exactement en 1689 ». Les demeures et les bâtiments de 347 familles y sont indiqués.

Les instrument­s de mesure dont dispose l’ingénieur du roi sont d’une précision limitée. Le relief de l’île a aussi quelque peu varié. « Une part du travail repose sur des déductions. L’île n’est plus exactement la même. Le relief a changé. Les rives aussi, avec l’érosion, les constructi­ons, les nivelages…. Le sieur Villeneuve prenait ses coordonnée­s comme il pouvait. J’ai cherché les bâtiments encore debout, pour appuyer mon travail et pour que cela me serve de balises. »

Nico Lefrançois estime, en vertu des vérificati­ons qu’il a été en mesure de faire jusqu’ici, être dans un registre de vraisembla­nce. « Je dirais qu’on est, avec les projection­s que je fais, dans la vérité des emplacemen­ts d’origine. À plus ou moins cinquante pieds, je suis dedans, je dirais. »

Demeures d’origine

Nico Lefrançois peut compter tout au plus sur une poignée de bâtiments originaux du XVIIe siècle pour appuyer ses géolocalis­ations. Au fait, combien reste-til de maisons de ce temps des commenceme­nts ? « Vraiment pas beaucoup ! Très peu même. Ça les rend d’autant plus précieuses. À Sainte-Famille, par exemple, j’en compte seulement trois auxquelles je peux me fier. »

En 1759, « les Anglais ont beaucoup détruit lors de la guerre de la Conquête », explique le généalogis­te. Les colonnes de fumée sont repérées à bonne distance. Le manoir Mauvide-Genest, un témoin majeur de l’histoire de l’île, présente encore plusieurs traces de l’attaque qu’il a subie. Les troupes d’invasion, menées par le général Wolfe, vont éviter de toucher aux églises, afin de ne pas nourrir une guerre portée par un fanatisme religieux. Certains bâtiments ont été endommagés par la soldatesqu­e, mais n’ont pas disparu pour autant. À l’île, la destructio­n des habitation­s n’est pas totale, comme c’est à peu près le cas sur la Côtedu-Sud, dans Charlevoix ou sur la Côte-de-Beaupré. Il n’est pas question de tout laisser en cendres parce que l’île d’Orléans est utilisée par l’armée britanniqu­e comme campement et comme hôpital de campagne au moment de la bataille des plaines d’Abraham. De vieux bâtiments ou de vieilles granges du régime français survivent, pour cette raison en partie, à la campagne militaire. Ce qui a pour effet de rehausser par la suite l’intérêt porté à l’île d’Orléans. De tous les coins du Québec, écrira Pierre-Georges Roy en 1928, « il n’y en a pas de plus pittoresqu­e que l’île d’Orléans ».

En 1689, l’île n’a pas encore atteint le niveau de culture des champs et l’aisance générale que remarquero­nt les militaires britanniqu­es lorsqu’ils y débarquero­nt en 1759. Mais elle est déjà, à l’époque, présentée comme le bassin des plus belles seigneurie­s du pays. Des Hurons, réfugiés sur l’île, y ont travaillé un moment aux terres avant d’être massacrés.

« Sur la carte de Villeneuve, c’est assez précis », les espaces en culture. « Il devait y avoir beaucoup d’arbres encore. Vraiment beaucoup. Chaque arpent qu’ils déchiffrai­ent pour en faire de la terre cultivable demandait beaucoup de temps », explique Nico Lefrançois.

Des projection­s

Les projection­s géolocalis­ées des habitation­s de l’île à la fin du XVIIe siècle se fondent sur la carte de Villeneuve de 1689, mais aussi sur les travaux pionniers du généalogis­te Léon Roy. « Je fais toutes les terres primaires, les premières concession­s quoi, avec un suivi jusqu’en 1725, à partir de ce qu’il nous a laissé comme renseignem­ents. »

« Au départ, mon fichier était énorme, très lourd. J’avais pensé à renoncer tellement c’était compliqué. » Et puis, tout a débloqué. Pratiqueme­nt la moitié de cette cartograph­ie historique d’un genre particulie­r a été parachevée. Les gens peuvent déjà consulter une bonne partie du travail en étant branchés à Google Earth. « Tout devrait être terminé d’ici le début de l’été. Je veux finir ce travail dès que possible. » Nico Lefrançois a l’ambition de retracer l’historique de toutes

Si les enfants ne sont pas sensibilis­és tôt aux particular­ités de ces maisons, ils ne seront pas en mesure, plus tard, d’en reconnaîtr­e l’importance, » ni la valeur ISABELLE PARADIS

les terres du Québec à partir du registre du patrimoine foncier. Les travaux de Nico Lefrançois sont présentés sur le site Internet patrimoine­quebec.com.

L’importance de ces maisons

De son côté, Isabelle Paradis, une résidente de l’île d’Orléans, s’est mis en tête de présenter aux enfants et aux étudiants les traits caractéris­tiques de l’architectu­re en Nouvelle-France. « Les maisons de l’île d’Orléans m’ont raconté », l’atelier qu’elle propose, permet de découvrir une facette de l’île.

Spécialist­e de la conservati­on et de la restaurati­on patrimonia­le, Isabelle Paradis oeuvre au centre de conservati­on de Québec. Elle se spécialise dans la restaurati­on des finis architectu­raux et de la pierre. Mais c’est de son propre chef qu’elle circule désormais d’école en école, avec une maquette à l’échelle d’une vraie maison d’époque de l’île d’Orléans, la maison Bégin, qui date de 1720. Cette maison était à l’origine à Beaumont. En 1975, elle a été déménagée à Saint-Pierre.

« Je pense qu’il faut expliquer très tôt aux enfants pourquoi le patrimoine compte. » Elle propose, depuis quelques années, des ateliers sur les maisons d’autrefois afin de sensibilis­er les enfants à leur importance. « Les enfants peuvent voir exactement, à partir d’une maquette, comment ces maisons étaient construite­s, ce qu’elles ont de particulie­r. Ils peuvent la monter et la démonter, à mesure que j’explique. »

Isabelle Paradis est catégoriqu­e : « Si les enfants ne sont pas sensibilis­és tôt aux particular­ités de ces maisons, ils ne seront pas en mesure, plus tard, d’en reconnaîtr­e l’importance, ni la valeur. À l’île, ces maisons anciennes ont beau encore les entourer, elles n’existeront jamais dans leur coeur comme une valeur si personne ne leur en parle, si personne ne leur explique ce qu’elles signifient. »

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 ?? RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR ?? Spécialist­e de la conservati­on et de la restaurati­on patrimonia­le, Isabelle Paradis oeuvre au centre de conservati­on de Québec. La résidente de l’île d’Orléans propose des ateliers pour présenter aux enfants et aux étudiants les traits caractéris­tiques de l’architectu­re en Nouvelle-France.
RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Spécialist­e de la conservati­on et de la restaurati­on patrimonia­le, Isabelle Paradis oeuvre au centre de conservati­on de Québec. La résidente de l’île d’Orléans propose des ateliers pour présenter aux enfants et aux étudiants les traits caractéris­tiques de l’architectu­re en Nouvelle-France.

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