Pas suffisant, le dialogue
Des demandes identiques ont déjà été exigées par le passé par d’autres pays scandinaves, comme le Danemark et la Norvège.
Au sortir du visionnement de la conférence de presse de sa première ministre, Robert Dalsjö, ingénieur en chef et expert en sécurité pour l’Agence suédoise de recherche sur la défense, estime avoir été témoin d’un changement d’époque. « C’est l’acte final du long adieu des Suédois à la neutralité. Ça marque la fin définitive de la période post-guerre froide, qui a débuté avec la chute du mur de Berlin. On entre dans une nouvelle ère. »
« La garantie de sécurité aujourd’hui, c’est l’OTAN qui la porte, renchérit Cyril Coulet, ancien chercheur affilié à l’Institut suédois des relations internationales. Le fait d’être membre de l’alliance est plus sécurisant que le fait d’être neutre. »
Différents, mais semblables
Bien que toutes deux neutres depuis des décennies, la Finlande et la Suède se tiennent loin des alliances pour des raisons différentes.
La Finlande, d’abord, a été échaudée par des agressions russes du dernier siècle. Ayant plus de 1300 kilomètres de frontière avec la Russie, « les Finlandais prennent les enjeux de sécurité très au sérieux », dixit Robert Dalsjö. Leur neutralité était donc « instrumentale, c’est-à-dire une façon de garder une distance avec l’Union soviétique. »
La Suède, au contraire, n’a pris part à aucun conflit sur son territoire durant le XXe siècle et a cultivé le sentiment que la guerre n’était pas dans ses intérêts. « Les Suédois ont fait de leur neutralité et de leur non-alignement un symbole, spécialement durant la période de la guerre froide. C’est une part de leur identité et de leur idéologie », précise M. Dalsjö.
Au temps de l’Union soviétique, « la Suède était neutre entre capitalisme et socialisme comme elle était neutre entre l’OTAN et le pacte de Varsovie », explique Cyril Coulet.
Qui plus est, les Suédois n’ont jamais pris part à une alliance militaire depuis la fin de l’époque napoléonienne, il y a près de 200 ans. Or, « cette guerre, et la détermination de la Finlande de se joindre à l’OTAN ont réveillé les Suédois, qui comprennent maintenant que tous les problèmes ne peuvent pas se résoudre par la bonne volonté et le dialogue », note Robert Dalsjö.
Cette dichotomie se reflète dans la perspective des deux peuples vis-à-vis de ce changement de paradigme. « En Finlande, avant la guerre en Ukraine, environ 25 % soutenaient une participation à l’OTAN. Maintenant, c’est 75 % ou 80 %. En Suède, environ 40 % de la population était pour une adhésion à l’OTAN, 40 % était contre et 20 % était indécise. Maintenant, c’est environ 50 % pour, 25 % contre et 25 % d’indécis », énumère M. Dalsjö.
Sur le plan des capacités militaires également, les deux pays divergent. La Finlande possède des capacités militaires « comparables » à celles des autres membres de l’OTAN, selon le spécialiste suédois, tandis que la Suède en est dépourvue.
« La Suède a réduit son armée de 90 %, sa force navale et aérienne de 70 % et a maintenu l’essentiel pour des opérations internationales, comme le Canada. Mais là, la guerre est à nouveau possible. Nous reconstruisons nos capacités militaires, mais nous n’y sommes pas encore », indique t-il.
Des alliés pour le Canada
L’entrée de pays nordiques dans l’OTAN est une bonne nouvelle pour le Canada, estime Anessa Kimball, directrice du Centre sécurité internationale à l’École supérieure des études internationales, car il y a là de nouveaux alliés dans la défense de l’Arctique.
« Notre défense nationale est assez faible » dans le cercle polaire, dit-elle. « On a même de la misère à se procurer des brise-glace. »
En intégrant les patrouilles d’avions et les renseignements scandinaves dans la stratégie de défense canadienne, notre connaissance de ce territoire, éloigné mais convoité, s’en trouvera renforcée. « Ils possèdent des caractéristiques assez nichées, et le Canada peut profiter de leur expertise dans cette matière-là. »
En retour, il est envisageable que des membres des forces armées canadiennes soient déployés dans ces régions, ajoute la spécialiste de l’OTAN. « Ce sera probablement la France, l’Italie, l’Allemagne et peut-être le Canada qui prendront le fardeau [d’une présence de l’OTAN en Scandinavie]. […] Ça ne me surprendrait pas qu’il y ait des États qui se portent volontaires pour faire ça, mais ça ne sera pas les États-Unis, c’est certain. »
L’élargissement allié autour du cercle arctique comporte des risques, souligne la professeure Kimball. « Dès qu’on met plein d’équipement et de personnes dans des États limitrophes, il y a des risques d’accident, un conflit qui connaît une escalade par accident. »
Tout indique que l’entrée de la Suède et de la Finlande au sein de l’alliance sera faite d’ici le sommet de l’OTAN à Madrid, à la fin du mois de juin. Leur adhésion pleine et entière doit toutefois être entérinée à l’unanimité par l’ensemble des trente Parlements membres de l’OTAN. Ce processus devrait s’échelonner sur un an, estiment les experts consultés par le Devoir.
« Ça prend en moyenne une période de dix ans avant une adhésion, note Anessa Kimball. Si ça se fait en quelques mois, c’est assez exceptionnel. »
Seule la Turquie a pour l’instant émis des réserves, prétextant le laxisme suédois envers les Kurdes, une minorité persécutée par Ankara. Malgré ces réticences, la Turquie a « clairement indiqué son intention de ne pas bloquer » l’entrée des deux pays, a affirmé dimanche le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, depuis Berlin.
Ce renforcement de l’OTAN constitue la preuve, a-t-il ajouté, qu’« une agression » comme l’invasion de l’Ukraine « ne paie pas ».