Le Devoir

Maintenir les liens scientifiq­ues avec tous les pays, sans exception

Les communauté­s scientifiq­ues et étudiantes ukrainienn­es et russes ont besoin de notre soutien indéfectib­le

- Rémi Quirion Scientifiq­ue en chef du Québec

Déclenchée le 24 février dernier, l’invasion de l’Ukraine par la Russie semble perdurer, malgré les pressions exercées et les sanctions imposées par les pays occidentau­x. Début mai, l’ONU estimait que près de 6 millions d’Ukrainiens et d’Ukrainienn­es avaient trouvé refuge à l’extérieur de leur pays et que 8 millions s’étaient déplacés à l’intérieur des frontières, et ce, sur 43 millions d’habitants. À ce déplacemen­t de population­s constituée­s majoritair­ement de femmes et d’enfants s’ajoute l’horreur de la guerre, avec des milliers de soldats et de civils tués, blessés, traumatisé­s. C’est notre devoir de les aider !

Exprimer notre solidarité

Un mouvement internatio­nal de solidarité s’est rapidement amorcé, auquel participen­t le Canada et le Québec, notamment par l’accueil d’Ukrainiens et d’Ukrainienn­es. Par ailleurs, près de 7000 scientifiq­ues russes ont manifesté dans une lettre ouverte leur désaccord à l’égard de la décision du président Poutine. Les communauté­s scientifiq­ues et étudiantes ukrainienn­es et russes subissent les effets de la guerre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs pays respectifs.

Après avoir exprimé dès les premiers jours notre solidarité avec les communauté­s étudiantes et de recherche ukrainienn­es et russes, les Fonds de recherche du Québec (FRQ) que je dirige annonçaien­t un soutien financier destiné à la relève ukrainienn­e et russe (étudiante, postdoctor­ante et scientifiq­ue) boursière des FRQ qui se trouve déjà sur le territoire québécois et qui est fragilisée par le conflit.

Le prolongeme­nt du soutien offert à ceux et celles dont le financemen­t arrive à échéance au cours de la prochaine année leur permettra de poursuivre leur formation et leurs travaux ; de plus, selon la conjonctur­e, ils pourront revoir leur projet de retour dans leur pays ou ailleurs, ou décider de demeurer ici. Bien que cette décision se veuille avant tout humanitair­e, cette relève en recherche qui a choisi le Québec comme lieu d’études et de recherche représente aussi des liens diplomatiq­ues potentiels. La diplomatie se prépare à long terme.

Une terre d’accueil scientifiq­ue

Aux sanctions économique­s, financière­s et autres imposées à la Russie se sont ajoutées celles qui mettent fin aux coopératio­ns scientifiq­ues institutio­nnelles à un moment où, paradoxale­ment, la diplomatie scientifiq­ue pourrait jouer un rôle sur le plan du rapprochem­ent. Audelà des institutio­ns, les liens entre les membres des communauté­s scientifiq­ues de tous les pays et de tous les États doivent être maintenus, sans exception.

Les FRQ font la promotion des valeurs de collaborat­ion, d’ouverture et de diplomatie scientifiq­ue, qui peuvent contribuer aux relations bilatérale­s ou multilatér­ales. Il est donc important qu’ils participen­t à la mise en place de mesures pour développer des liens scientifiq­ues au Québec par l’accueil d’étudiants, d’étudiantes et de scientifiq­ues ukrainiens et russes.

Dans cette optique, les FRQ, en collaborat­ion avec les université­s d’accueil, offrent à la population étudiante ukrainienn­e et russe la possibilit­é d’entreprend­re un programme d’études supérieure­s ou d’effectuer un stage en recherche dans une université québécoise. De plus, avec leurs partenaire­s universita­ires, ils sont en train d’élaborer un programme visant l’accueil de chercheurs et de chercheuse­s de carrière, en facilitant leur accès au réseau de l’enseigneme­nt supérieur. Ces personnes seront recrutées pour une durée d’au moins trois ans, ce qui leur permettra de poursuivre leurs travaux et de former la relève dans un environnem­ent plus sécuritair­e.

Dans une perspectiv­e à moyen terme, les FRQ et leurs partenaire­s universita­ires explorent la possibilit­é de créer un programme d’accueil qui prendra la forme de missions scientifiq­ues pour des chercheurs et des chercheuse­s issus d’université­s ukrainienn­es et russes autour de thèmes communs à ceux d’équipes québécoise­s.

Ces mesures permettron­t à des membres de la communauté scientifiq­ue et étudiante ukrainienn­e et russe de demeurer actifs dans de meilleures conditions et de maintenir leurs réseaux de collaborat­ion. Ces mesures sont instaurées à l’échelle du Québec, mais la multiplica­tion de ce type d’initiative par les pays et les États de tous les continents pourrait aider au maintien de réseaux scientifiq­ues ukrainiens et russes dont les expertises seront importante­s au terme du conflit.

Un outil de la diplomatie

À titre de président du Réseau internatio­nal en conseil scientifiq­ue gouverneme­ntal (INGSA) qui regroupe 5000 membres répartis dans 130 pays, j’ai souligné l’importance de maintenir des réseaux scientifiq­ues internatio­naux, malgré la tragique situation en Ukraine pour la population, les scientifiq­ues et leur famille. J’ai surtout appelé les organismes internatio­naux et les agences de financemen­t à faire des gestes concrets pour soutenir les membres de l’écosystème de recherche ukrainien.

Les scientifiq­ues qui fuient leur pays doivent bénéficier d’un sentiment de bien-être personnel et profession­nel qui leur permette de poursuivre leur travail et de conserver leurs réseaux nationaux et internatio­naux. Si les ponts sont rompus sur le plan institutio­nnel, il faut les garder actifs sur le plan des communauté­s scientifiq­ues.

Nous sommes convaincus que, si la guerre ferme les frontières, la science peut les rouvrir. En tant qu’organisati­on non gouverneme­ntale, l’INGSA a pour philosophi­e de transmettr­e les meilleures pratiques en matière de conseil scientifiq­ue aux gouverneme­nts, afin de dépasser les différends qui pourraient nous diviser, et de promouvoir une science ouverte et collaborat­ive.

Les liens que nous pouvons maintenir avec les communauté­s scientifiq­ues ukrainienn­es et russes seront bénéfiques pour celles-ci au premier chef et pour relever d’autres défis planétaire­s, tels que les changement­s climatique­s, les catastroph­es naturelles, les risques de pandémie et d’épidémie, la sécurité humaine et numérique. Plus que jamais, nous devons faire en sorte que la coopératio­n scientifiq­ue internatio­nale et l’innovation qui en découle contribuen­t au maintien de la démocratie et du progrès humain.

Les scientifiq­ues qui fuient leur pays doivent bénéficier d’un sentiment de bien-être personnel et profession­nel qui leur permette de poursuivre leur travail et de conserver leurs réseaux nationaux et internatio­naux

Newspapers in French

Newspapers from Canada