Le Devoir

Les partis politiques ontariens devant la crise du logement

L’éliminatio­n du zonage d’exclusion est-elle la réponse aux problèmes de logement dans la province ?

- ÉTIENNE LAJOIE À TORONTO LE DEVOIR

Une semaine après le déclenchem­ent des élections en Ontario, les chefs continuent de dévoiler de nouvelles mesures pour améliorer l’accès au logement. Mais une mesure phare proposée par un comité indépendan­t formé par le gouverneme­nt pour étudier l’abordabili­té du logement ne figure pas dans tous les plans. L’éliminatio­n du zonage d’exclusion est-elle la réponse aux problèmes de logement dans la province ?

Plusieurs experts parlent d’une crise immobilièr­e en Ontario. Le prix moyen d’une maison a atteint 1,2 million dans le Grand Toronto en avril, une augmentati­on de 15 % par rapport à avril 2021. Le prix des loyers approche aussi les sommets prépandémi­ques : un appartemen­t de deux chambres coûte en moyenne 2867 $ par mois, comparativ­ement à 2941 $ à la fin de 2019.

Au mois de décembre, à six mois des élections, le gouverneme­nt ontarien a formé un groupe d’étude indépendan­t sur le logement abordable pour analyser la situation. Le comité d’experts a recommandé des mesures ambitieuse­s pour résoudre le problème, comme la constructi­on de 1,5 million de maisons en 10 ans et l’éliminatio­n du zonage d’exclusion, qui empêche entre autres la constructi­on de maisons sur la majorité du territoire de Toronto. La chambre de commerce de Toronto fait la même recommanda­tion.

Les trois principaux partis s’entendent sur le besoin de construire autant de nouveaux logements, mais pas sur la manière de le faire. Dans sa plateforme, le NPD promet explicitem­ent d’éliminer le zonage d’exclusion. Le Parti progressis­te-conservate­ur n’en fait pas mention dans son projet de loi sur le logement présenté avant les élections, tandis que les libéraux, qui pointent au deuxième rang dans les sondages, n’indiquent pas clairement s’ils éliminerai­ent complèteme­nt ce type de zonage s’ils sont élus.

Interrogé sur le sujet vendredi, Steven Del Duca a affirmé que son parti allait « travailler de manière urgente avec ses partenaire­s municipaux pour moderniser les règlements de zonage ». Selon David Amborski, un professeur de planificat­ion urbaine à l’Université métropolit­aine de Toronto et l’un des membres du groupe d’étude, ce plan n’est pas assez ambitieux. Une nouvelle réglementa­tion provincial­e est nécessaire, dit-il, « puisque les conseiller­s municipaux veulent protéger les propriétai­res de maisons ».

Sur près de 70 % du territoire de la ville de Toronto, seules des maisons unifamilia­les ou jumelées peuvent être construite­s. Des règlements de zonage datant du fusionneme­nt de la ville, dans les années 1990, font aujourd’hui en sorte que les maisons unifamilia­les représente­nt 24 % du parc immobilier torontois. À titre comparatif, elles ne représente­nt que 7 % du parc immobilier montréalai­s.

Un territoire à développer

Selon l’urbaniste Naama Blonder, du cabinet torontois Smart Density, ce territoire doit être « déverrouil­lé ». Sans quoi, soutient Rocky Petkov, bénévole à l’organisme More Neighbours, qui milite en faveur de réformes dans le milieu du logement, la province se dirige vers une « catastroph­e ». L’étalement urbain est déjà important dans le Grand Toronto — les progressis­tes-conservate­urs font d’ailleurs campagne sur la constructi­on d’autoroutes —, mais il s’aggravera si le zonage d’exclusion n’est pas interdit, dit Rocky Petkov.

Le groupe d’étude mettait d’ailleurs le gouverneme­nt en garde au mois de février : si le zonage d’exclusion n’était pas révoqué, disait-il, les projets immobilier­s pourraient commencer à empiéter sur la ceinture verte, une région protégeant les terres agricoles, les

forêts et les terres humides. « Le coût environnem­ental sera extrêmemen­t élevé, et nous allons créer un mode de vie dépendant de la voiture », se désole Rocky Petkov.

Plusieurs maires ontariens se sont levés dès la publicatio­n du rapport du groupe d’étude pour s’opposer aux recommanda­tions. La commission de développem­ent d’Oakville, une ville de 195 000 habitants près de Toronto, a jugé que les propositio­ns du groupe « éroderaien­t le tissu communauta­ire ». À Toronto, le maire, John Tory, a déclaré que la province marchait dans ses plates-bandes.

La cheffe néodémocra­te, Andrea Horwath, n’a pas précisé comment elle s’y prendrait pour éliminer le zonage d’exclusion, mais si elle utilise la méthode californie­nne et légifère à l’échelle de la province, elle ferait probableme­nt face à une forte opposition des élus municipaux. Ceux-ci, lit-on dans le rapport du groupe d’étude publié en février, se rangent souvent derrière les nombreuses communauté­s qui s’opposent à un changement de zonage puisque ce sont ces communauté­s qui les élisent.

Vendredi, le chef libéral, Steven Del Duca, de passage à Scarboroug­h, en banlieue de Toronto, a insisté sur le fait qu’il ne pouvait ignorer l’avis des résidents des quartiers potentiell­ement touchés par les changement­s de zonage. « Vous ne pensez pas que les gens qui habitent sur cette rue devraient avoir leur mot à dire sur le visage de leur quartier ? » a-t-il demandé. Selon Rocky Petkov, il s’agissait d’un message codé au mouvement « pas dans ma cour ».

Le message a aussi déçu Naama Blonder, du cabinet Smart Density. « Si quelqu’un veut construire un multiplex près de votre maison, ça ne fera pas diminuer la valeur du quartier », rappelle-t-elle. La planificat­rice urbaine et architecte, qui travaille sur des projets de multiplex, révèle qu’elle travaille bien avec les municipali­tés. « Est-ce qu’on peut travailler avec les communauté­s ? Ça, c’est la question », admet-elle.

 ?? RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR ?? Un comité d’experts a recommandé des mesures ambitieuse­s pour résoudre le problème de crise immobilièr­e, comme la constructi­on de 1,5 million de maisons en 10 ans et l’éliminatio­n du zonage d’exclusion dans la ville de Toronto.
RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Un comité d’experts a recommandé des mesures ambitieuse­s pour résoudre le problème de crise immobilièr­e, comme la constructi­on de 1,5 million de maisons en 10 ans et l’éliminatio­n du zonage d’exclusion dans la ville de Toronto.

Newspapers in French

Newspapers from Canada