Le Devoir

La ville de Buffalo tremble de rage

Une large foule s’est rassemblée dimanche pour exprimer sa colère et pleurer les victimes de la tuerie raciste

- JORGE UZON AVEC DAXIA ROJAS RESPECTIVE­MENT À BUFFALO ET À WASHINGTON AGENCE FRANCE-PRESSE

Sous le choc, les habitants de la ville de Buffalo, dans l’État de New York, ont rendu hommage dimanche aux dix personnes tuées la veille dans un supermarch­é, dont une majorité d’Afro Américains, par un homme blanc dans une fusillade décrite par les autorités comme « un crime raciste motivé par la haine ».

« Certains d’entre nous sont très en colère », a lancé le pasteur T. Anthony Bronner, lors d’une veillée devant le stationnem­ent du supermarch­é Tops, où un jeune, équipé d’une arme d’assaut et d’un gilet pare-balles, a fait feu samedi après-midi faisant dix morts et trois blessés.

Onze des victimes étaient des personnes noires et deux étaient blanches, dans ce quartier majoritair­ement afro-américain de Buffalo, une ville septentrio­nale au bord du lac Érié, à la frontière avec le Canada.

Une large foule était rassemblée dimanche sur le lieu du drame, priant, déposant des gerbes de fleurs et scandant le mot « unité » tandis qu’une autre veillée avait lieu dans une église, où le maire de Buffalo, Byron Brown, s’est dit « dévasté » face à cette « attaque raciste et violente ».

Le tireur, identifié comme Payton Gendron, 18 ans, a conduit plus de 300 km depuis son lieu de résidence à Conklin, dans le sud de l’État, pour perpétrer ce massacre, effectuant même « une opération de reconnaiss­ance » la veille des faits, selon les autorités.

« Comment un garçon de 18 ans peut-il se procurer une arme ? » s’est exclamé auprès de l’Agence France Presse Derryl Long, né à Buffalo et habitant dans la ville voisine de Chautauqua. « Je n’arrive pas à comprendre ce qui a bien pu se passer dans la tête de cet homme, pour conduire trois heures jusqu’ici, jusqu’à ce [supermarch­é] Tops parce qu’il savait que c’était un quartier noir », a-t-il poursuivi.

« Tache sur l’âme de l’Amérique »

« Cet individu est venu avec l’objectif de tuer le plus de personnes noires possible », a résumé Byron Brown lors d’une conférence de presse.

« Les preuves que nous avons réunies jusqu’à présent ne laissent aucun doute sur le fait que c’est un crime raciste motivé par la haine et qu’il sera jugé comme tel », a précisé le chef de la police de Buffalo, Joseph Gramaglia.

Le « crime motivé par la haine » désigne, aux États-Unis, un acte dirigé contre une personne en raison d’éléments de son identité, comme la race, la religion, la nationalit­é, l’orientatio­n sexuelle ou un handicap. Considéré comme une infraction fédérale aux circonstan­ces aggravante­s, il entraîne des condamnati­ons plus dures.

« Nous devons travailler ensemble pour combattre la haine, qui demeure une tache sur l’âme de l’Amérique », a martelé dimanche Joe Biden, à Washington. Le président se rendra à Buffalo mardi, a indiqué la Maison-Blanche.

Payton Gendron a menacé de se suicider avant de se rendre aux forces de l’ordre. Poursuivi pour « meurtre avec préméditat­ion », il a plaidé non coupable lors d’une première comparutio­n devant un juge.

Le jeune homme portait une caméra et a diffusé son crime en direct sur Twitch, même si la plateforme a affirmé avoir supprimé le contenu « deux minutes » après le début de sa diffusion.

Il a aussi publié un « manifeste » de 180 pages à caractère raciste avant les faits, selon les médias américains.

Selon le New York Times, citant ce « manifeste », le suspect a été « inspiré » par des crimes commis par des suprémacis­tes blancs, tel que le massacre en 2019 de 51 fidèles dans deux mosquées de Christchur­ch, en Nouvelle-Zélande.

Le journal Buffalo News a par ailleurs révélé qu’un mot injurieux, raciste et tabou aux États-Unis pour désigner les personnes noires avait été peint en blanc sur le canon de l’arme.

Payton Gendron avait déjà fait l’objet d’une enquête de la police en juin dernier après avoir tenu des propos menaçants dans son lycée, a déclaré le commissair­e Gramaglia. Il avait subi une évaluation psychologi­que dans un hôpital. Aucune poursuite n’avait été engagée contre lui.

« C’était du terrorisme intérieur, purement et simplement », a déclaré la procureure générale de New York, Letitia James, qui s’est rendue à Buffalo pour assister à la veillée.

« Les réseaux sociaux permettent à cette haine de fermenter et de se répandre comme un virus », a dénoncé de son côté la gouverneur­e de l’État de New York, Katy Hochul, originaire de Buffalo.

Cette tuerie raciste en rappelle deux autres : celle d’El Paso au Texas en 2019, où 23 personnes avaient été tuées par un militant d’extrême droite, dont 8 Mexicains et des personnes « hispanique­s », et celle de Charleston en Caroline du Sud, où un suprémacis­te blanc avait tué 9 fidèles afro-américains dans une église en 2015. Dans ces deux cas, des manifestes haineux avaient été mis en ligne avant les attaques.

Les fusillades dans les lieux publics sont quasiment quotidienn­es aux États-Unis, et la criminalit­é par armes à feu est en augmentati­on dans les grandes villes comme New York, Chicago, Miami ou San Francisco, notamment depuis la pandémie de 2020.

Plusieurs initiative­s d’élus pour renforcer la législatio­n sur les armes ont échoué au Congrès ces dernières années, la National Rifle Associatio­n, un puissant lobby pro-armes, restant très influente.

 ?? SCOTT OLSON GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Dimanche, des personnes se sont rassemblée­s devant le supermarch­é Tops, à Buffalo, où avait eu lieu la tuerie la veille. Certaines personnes ont pris la parole et d’autres sont allées déposer des fleurs ou des lampions en mémoire des personnes qui ont été tuées.
SCOTT OLSON GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE Dimanche, des personnes se sont rassemblée­s devant le supermarch­é Tops, à Buffalo, où avait eu lieu la tuerie la veille. Certaines personnes ont pris la parole et d’autres sont allées déposer des fleurs ou des lampions en mémoire des personnes qui ont été tuées.

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