Multiples acquisitions autour du bâtiment patrimonial démoli
Olymbec, le promoteur immobilier qui possédait le Domaine-de-l’Estérel, un bien patrimonial classé et démoli sans autorisation, a récemment acquis, non loin de là, les terrains du Club de golf Estérel pour la somme de 4,7 millions de dollars, a constaté Le Devoir, ainsi qu’au moins un autre vaste terrain, mis en vente pour plus de 7 millions. Ces espaces sont convoités, depuis des années, dans la perspective de projets immobiliers projetés par divers groupes.
Le terrain de golf d’Estérel et ses dépendances sont situés de biais avec l’immeuble patrimonial qui vient d’être détruit, sur l’autre rive du lac Masson, dans les Laurentides. Le Domaine-de-l’Estérel était considéré, jusqu’à sa destruction impromptue vendredi dernier, comme un des chefs-d’oeuvre de l’architecture art déco en Amérique du Nord.
Ce qui se produit sur les berges de ce lac est à situer dans un portrait immobilier plus large, a relevé Le Devoir.
Le 25 mars 2022, huit lots qui composent le terrain de golf ont été cédés à la même compagnie, propriété de la famille Stern, pour 4,7 millions.
Les frères Stern ont aussi acheté un autre important terrain dans la municipalité, mis en vente pour plus de 7 millions. La vente n’a pas encore été conclue chez le notaire, mais les documents officiels ont été consultés par Le Devoir.
D’autres terrains riverains du lac sont déjà la propriété du même groupe.
Le Devoir, souhaitant connaître les projets immobiliers de l’entreprise au lac Masson, s’est rendu au siège social d’Olymbec, boulevard Décarie à Montréal. Il ne lui a pas été permis de s’entretenir avec un responsable de l’entreprise. Les courriels envoyés aux frères Stern sont restés sans réponse.
Le maire d’Estérel, Frank Pappas, se dit inquiet. « Le golf est fermé cette année. L’annonce de la fermeture n’est pas officialisée, mais mettons qu’il commence à être tard pour ouvrir », relate-t-il en entrevue.
Concernant d’éventuelles demandes de changements de zonage qui viseraient la construction de bâtiments résidentiels, le maire Pappas répond : « Je dis tout de suite que ça ne va pas fonctionner. On a vu ce qui vient de se passer avec le Domaine-de-l’Estérel, alors qu’il y avait de très beaux projets pour cet espace historique. Tout a été démoli, alors que ça ne devait pas l’être. »
Gilles Boucher, le maire de la municipalité voisine de Sainte-Margueritedu-Lac-Masson, indique au Devoir que Richard Stern lui a affirmé, dans son bureau, « vouloir réduire le terrain de golf à un 9 trous pour y construire des maisons ». Olymbec a aussi acheté, dans sa municipalité, « une cinquantaine de terrains contigus au vaisseau amiral art déco qu’on vient de perdre ».
Inquiétudes
Au sujet des frères Richard et Derek Stern, propriétaires d’Olymbec, le maire Pappas insiste pour dire qu’il ne se laissera pas faire. « Je dirais qu’ils possèdent désormais entre 30 et 40 % des terrains à Estérel, dont de très gros terrains. Moi, j’ai un mandat de protéger Estérel, et c’est ce que je vais faire. Je suis avocat depuis 1984 et j’ai l’habitude de me battre. »
En juillet 2021, le groupe Olymbec avait fait l’acquisition de l’ancien domaine du baron belge Empain, un chef-d’oeuvre art déco, pour la somme de 1,4 million. C’est cet immeuble qui est tombé la semaine dernière, après que l’entreprise a obtenu un permis pour en démolir une partie qui ne jouissait pas de la protection de l’État.
Le propriétaire précédent de ce rare ensemble architectural, la compagnie HBO Construction, avait indiqué en 2019 au Devoir que ses projets immobiliers pour le site étaient arrêtés. « C’est on hold pour l’instant, il n’y a rien qui se passe », avait expliqué l’entreprise. Le groupe a finalement cédé l’ensemble à Olymbec.
Olymbec possède 300 vastes immeubles, selon son site Web. On peut aussi y lire que l’entreprise est « réputée être parmi les plus grands acheteurs privés d’immobilier en Amérique du Nord ». Le patriarche Stern, Edward, décédé en 2012, a fait construire, entre autres choses, quelque 400 maisons à Repentigny. Depuis les années 1970, l’entreprise a acquis des bâtiments industriels et commerciaux dans plusieurs villes du Québec, mais aussi aux États-Unis.
Une ancienne résidence de Céline Dion
En 2016, Richard Stern a racheté à Laval le manoir de Céline Dion situé sur l’île Gagnon. L’année suivante, Olymbec est parvenue à faire changer la catégorie de zonage du site de « protection » à « urbain », rapportait Le Journal de Montréal. La propriété de Céline Dion a été acquise pour 10 millions. La vedette de la chanson populaire demandait d’abord 30 millions.
La résidence a par la suite été occupée par François Duplantie, un partenaire financier d’Olymbec. Le groupe a défendu sur place un projet de construction de plusieurs centaines de condos qui préserverait une bande d’arbres de quelques mètres. M. Duplantie a plusieurs fois répété, lorsqu’il a défendu ce projet, qu’il était « écoresponsable ». Ce projet, estimé à 800 millions, a soulevé l’ire des résidents.
Quelle surveillance ?
Les travaux de démolition d’une partie du Domaine-de-l’Estérel, qui ont conduit à sa perte totale, étaient-ils surveillés par le ministère de la Culture et des Communications (MCC) ? Le directeur des communications de la ministre Nathalie Roy expliquait vendredi dernier qu’il n’était pas possible de tout surveiller.
« On fait quand même près de 1500 autorisations de travaux par année », a-t-il indiqué à La Presse. « On n’a pas, malheureusement, les ressources pour qu’il y ait des inspecteurs tout le temps », a-t-il ajouté.
Le Devoir a demandé au MCC s’il y avait eu, au moins dans les jours précédents, un inspecteur sur place, compte tenu de l’importance du bâtiment et de l’intervention. Au moment de mettre sous presse, Le Devoir n’avait pas obtenu de réponse du ministère depuis le 13 mai.
En 2013, la Ville de Sainte-Margueritedu-Lac-Masson avait vendu l’ancienne propriété du baron à un promoteur immobilier, HBO Construction, plutôt que de le céder à un projet communautaire. La décision avait suscité beaucoup de grogne dans la communauté, au point où des policiers avaient dû être appelés pour protéger le conseil municipal.
HBO projetait alors de démolir partiellement l’immeuble art déco pour lui substituer un projet de construction de son cru. La Ville avait cité le bâtiment afin de lui assurer une protection légale, comme le lui permet la loi. Mais la municipalité avait convenu de faire marche arrière devant les pressions du nouveau propriétaire.