Un beau gâchis
Chercher à ménager la chèvre et le chou a invariablement pour résultat de mécontenter tout le monde. La tentative de flirt du Parti libéral du Québec (PLQ) avec la majorité francophone ne l’a pas convaincue, et les anglophones ont eu le sentiment d’une trahison. En 1977, la position des libéraux dans le débat sur la loi 101 avait au moins le mérite de s’appuyer sur des principes clairs, même s’ils étaient contestables. Du début à la fin, ils y vont vu une violation des droits individuels, qu’ils jugeaient inacceptable.
Dans le cas du projet de loi 96, ils ont plutôt donné le pitoyable spectacle d’un parti dont la position, fluctuante et maladroite, était basée essentiellement sur des calculs électoraux. Le prix politique à payer risque d’être très lourd le 3 octobre prochain et au cours des prochaines années.
Le premier ministre Legault devait être enchanté de voir Dominique Anglade et un groupe de députés libéraux participer à la manifestation contre le projet de loi 96 en fin de semaine dernière.
Au départ, les stratèges de la CAQ étaient catastrophés par l’accueil positif qu’elle lui avait réservé, qui donnait la fâcheuse impression que cette « nouvelle loi 101 » était beaucoup trop molle.
Le gouvernement peut de nouveau présenter son projet de loi comme un juste équilibre entre l’« extrémisme » du Parti québécois (PQ) et l’habituel à-plat-ventrisme du « parti des Anglais », dont le retour au pouvoir serait dramatique pour le français.
Un gouvernement libéral n’aurait sans doute pas légiféré sur la langue, mais faut-il maintenant comprendre qu’il reviendrait en arrière en abolissant le plafond que le projet de loi 96 imposera aux inscriptions au cégep anglais, de la même façon qu’il autoriserait de nouveau les enseignants et les enseignantes à porter des signes religieux ?
Au bout du compte, l’ineptie du PLQ aura réussi à donner de la crédibilité à un projet de loi qui est en réalité une espèce de bric-à-brac de demi-mesures et de dispositions inutilement vexatoires, qui ne suffira pas à assurer la protection du français, tout en alourdissant le climat social. Un beau gâchis.
Il est écrit dans le ciel que l’obligation de suivre trois cours de ou en français au cégep anglais causera de sérieux problèmes et devra finalement être revue. Il aurait été tellement plus simple et plus efficace d’étendre les dispositions de la loi 101 au niveau collégial.
Il est vrai que la loi doit non seulement être renforcée, mais qu’elle doit aussi être appliquée de façon plus rigoureuse. Fallait-il accorder pour autant des pouvoirs de perquisition à l’Office québécois de la langue française ? Il y a déjà suffisamment de suspicion au sein de la communauté anglophone sans qu’il faille l’alimenter inutilement.
Cela dit, on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs. Faire en sorte que le français occupe plus de place au Québec implique nécessairement que l’anglais en occupe moins. On peut comprendre que cela déplaise à la communauté anglophone, mais faire du français la langue commune est à ce prix.
Au bout du compte, l’ineptie du PLQ aura réussi à donner de la crédibilité à un projet de loi qui est en réalité une espèce de bric-à-brac de demi-mesures et de dispositions inutilement vexatoires, qui ne suffira pas à assurer la protection du français, tout en alourdissant le climat social. Un beau gâchis.
Si la montée du mouvement indépendantiste en avait convaincu plusieurs que l’acception de la préséance du français était une condition sine qua non à la préservation de l’unité canadienne, il était prévisible que son recul aurait l’effet contraire.
Demeurer au sein du Canada, dont la dynamique est défavorable au français, exige pourtant d’être plus vigilant qu’il ne le serait nécessaire dans un Québec indépendant. Loin de s’atténuer, les tensions risquent donc d’augmenter.
Alors que de nombreux anglophones estiment que les francophones n’apprécient pas leurs efforts à leur juste valeur, ces derniers ont au contraire l’impression qu’ils sont indifférents à leur sort.
On pourrait voir une illustration du refroidissement des relations entre les « deux solitudes » qui coexistent au Québec dans l’annulation du débat télévisé en anglais lors la prochaine campagne électorale. En réalité, le débat télévisé dans la langue de Shakespeare qui a lieu en 2018 était une première, alors que le légendaire face-àface en français entre Jean Lesage et Daniel Johnson père remonte à 60 ans.
Soit, la CAQ ne compte pas sur le vote des anglophones, mais le premier ministre Legault aurait voulu les faire enrager qu’il n’aurait pas pu trouver mieux que l’excuse insultante donnée par son bureau. Cela exige une trop longue préparation, a-t-on expliqué. En d’autres mots, il n’a pas de temps à perdre avec eux.
Même les anglophones auraient sans doute préféré qu’il invoque le même argument que le chef du PQ, Paul StPierre Plamondon, à savoir que le français est la langue commune du Québec.