Le Devoir

Un beau gâchis

- MICHEL DAVID

Chercher à ménager la chèvre et le chou a invariable­ment pour résultat de mécontente­r tout le monde. La tentative de flirt du Parti libéral du Québec (PLQ) avec la majorité francophon­e ne l’a pas convaincue, et les anglophone­s ont eu le sentiment d’une trahison. En 1977, la position des libéraux dans le débat sur la loi 101 avait au moins le mérite de s’appuyer sur des principes clairs, même s’ils étaient contestabl­es. Du début à la fin, ils y vont vu une violation des droits individuel­s, qu’ils jugeaient inacceptab­le.

Dans le cas du projet de loi 96, ils ont plutôt donné le pitoyable spectacle d’un parti dont la position, fluctuante et maladroite, était basée essentiell­ement sur des calculs électoraux. Le prix politique à payer risque d’être très lourd le 3 octobre prochain et au cours des prochaines années.

Le premier ministre Legault devait être enchanté de voir Dominique Anglade et un groupe de députés libéraux participer à la manifestat­ion contre le projet de loi 96 en fin de semaine dernière.

Au départ, les stratèges de la CAQ étaient catastroph­és par l’accueil positif qu’elle lui avait réservé, qui donnait la fâcheuse impression que cette « nouvelle loi 101 » était beaucoup trop molle.

Le gouverneme­nt peut de nouveau présenter son projet de loi comme un juste équilibre entre l’« extrémisme » du Parti québécois (PQ) et l’habituel à-plat-ventrisme du « parti des Anglais », dont le retour au pouvoir serait dramatique pour le français.

Un gouverneme­nt libéral n’aurait sans doute pas légiféré sur la langue, mais faut-il maintenant comprendre qu’il reviendrai­t en arrière en abolissant le plafond que le projet de loi 96 imposera aux inscriptio­ns au cégep anglais, de la même façon qu’il autorisera­it de nouveau les enseignant­s et les enseignant­es à porter des signes religieux ?

Au bout du compte, l’ineptie du PLQ aura réussi à donner de la crédibilit­é à un projet de loi qui est en réalité une espèce de bric-à-brac de demi-mesures et de dispositio­ns inutilemen­t vexatoires, qui ne suffira pas à assurer la protection du français, tout en alourdissa­nt le climat social. Un beau gâchis.

Il est écrit dans le ciel que l’obligation de suivre trois cours de ou en français au cégep anglais causera de sérieux problèmes et devra finalement être revue. Il aurait été tellement plus simple et plus efficace d’étendre les dispositio­ns de la loi 101 au niveau collégial.

Il est vrai que la loi doit non seulement être renforcée, mais qu’elle doit aussi être appliquée de façon plus rigoureuse. Fallait-il accorder pour autant des pouvoirs de perquisiti­on à l’Office québécois de la langue française ? Il y a déjà suffisamme­nt de suspicion au sein de la communauté anglophone sans qu’il faille l’alimenter inutilemen­t.

Cela dit, on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs. Faire en sorte que le français occupe plus de place au Québec implique nécessaire­ment que l’anglais en occupe moins. On peut comprendre que cela déplaise à la communauté anglophone, mais faire du français la langue commune est à ce prix.

Au bout du compte, l’ineptie du PLQ aura réussi à donner de la crédibilit­é à un projet de loi qui est en réalité une espèce de bric-à-brac de demi-mesures et de dispositio­ns inutilemen­t vexatoires, qui ne suffira pas à assurer la protection du français, tout en alourdissa­nt le climat social. Un beau gâchis.

Si la montée du mouvement indépendan­tiste en avait convaincu plusieurs que l’acception de la préséance du français était une condition sine qua non à la préservati­on de l’unité canadienne, il était prévisible que son recul aurait l’effet contraire.

Demeurer au sein du Canada, dont la dynamique est défavorabl­e au français, exige pourtant d’être plus vigilant qu’il ne le serait nécessaire dans un Québec indépendan­t. Loin de s’atténuer, les tensions risquent donc d’augmenter.

Alors que de nombreux anglophone­s estiment que les francophon­es n’apprécient pas leurs efforts à leur juste valeur, ces derniers ont au contraire l’impression qu’ils sont indifféren­ts à leur sort.

On pourrait voir une illustrati­on du refroidiss­ement des relations entre les « deux solitudes » qui coexistent au Québec dans l’annulation du débat télévisé en anglais lors la prochaine campagne électorale. En réalité, le débat télévisé dans la langue de Shakespear­e qui a lieu en 2018 était une première, alors que le légendaire face-àface en français entre Jean Lesage et Daniel Johnson père remonte à 60 ans.

Soit, la CAQ ne compte pas sur le vote des anglophone­s, mais le premier ministre Legault aurait voulu les faire enrager qu’il n’aurait pas pu trouver mieux que l’excuse insultante donnée par son bureau. Cela exige une trop longue préparatio­n, a-t-on expliqué. En d’autres mots, il n’a pas de temps à perdre avec eux.

Même les anglophone­s auraient sans doute préféré qu’il invoque le même argument que le chef du PQ, Paul StPierre Plamondon, à savoir que le français est la langue commune du Québec.

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