Le Devoir

La normalisat­ion de la haine

- GUY TAILLEFER

La tuerie commise samedi par un suprémacis­te blanc à Buffalo procède de deux grands maux qui empoisonne­nt la société américaine : ceux du racisme et de l’accès facile aux armes. Elle s’inscrit ensuite dans la libération de la parole d’extrême droite sous la présidence de Donald Trump d’abord révélée par les événements de Charlottes­ville, en 2017. Il est grave que, hier marginale, la théorie du « grand remplaceme­nt » dont s’est inspiré le jeune Payton S. Gendron — par désennui ! — déborde maintenant des réseaux sociaux et de ses purulents sites de propagande pour être relayée, de façon plus ou moins explicite, par Tucker Carlson, l’incendiair­e commentate­ur de Fox News, et une frange non négligeabl­e d’élus républicai­ns.

Gendron n’est pas un « loup solitaire » : il fait partie d’une meute qui s’agrandit.

Il est le bras armé d’un phénomène délirant de normalisat­ion de la haine contre tous ceux et toutes celles qui ne sont pas blancs — les Noirs, les Juifs, les Latinos. En 2018, il y a eu l’attentat contre la synagogue de Pittsburgh (11 morts) ; l’année suivante, celui dans un Walmart d’El Paso (23 morts), commis par un cinglé en armes parti en guerre contre « l’invasion hispanique du Texas ». Et combien d’autres. Samedi, la cible était le supermarch­é Tops d’un quartier majoritair­ement afro-américain (10 morts).

Gendron, 18 ans, a été poussé à commettre ce geste — et à le filmer — de la même manière que la propagande djihadiste a inspiré la commission d’une série d’attentats perpétrés aux États-Unis au milieu des années 2010.

La désinforma­tion faisant son oeuvre, le résultat est qu’un Américain sur trois, selon un récent sondage un sondage de l’Associated Press–NORC Center for Public Affairs Research, pense que des opérations sont menées par des « élites » pour « remplacer les Américains blancs nés au pays par des immigrants, à des fins électorale­s ».

Elise Stefanik, élue républicai­ne de l’État de New York à la Chambre des représenta­nts, est une ardente apôtre de ce mensonge. Sur sa page Facebook, elle a soutenu que les démocrates manigançai­ent une « insurrecti­on électorale permanente » en accordant une amnistie aux immigrants irrégulier­s afin de créer « une majorité libérale permanente à Washington ». Matt Gaetz, républicai­n de la Floride, tient des propos de même nature, tout comme le fait maintenant — non sans se contredire — J. D. Vance, candidat de l’Ohio au Sénat en vue des législativ­es de mi-mandat de novembre prochain. Tous adoubés par Trump, bien entendu. Mais qu’attendre d’autre, au fond, de la part d’un Parti républicai­n qui entretient le mensonge de la présidence volée et dont la haute direction a statué il y a quelque temps que l’assaut du 6 janvier sur le Capitole, à Washington, tenait du « discours politique légitime ».

Se présente d’ailleurs à la direction du Parti conservate­ur du Canada un politicien du même acabit, capable des plus grossiers raccourcis populistes. Il s’appelle Pierre Poilievre.

La capacité des républicai­ns à manipuler les faits et à faire en sorte que leurs mensonges autour du « grand remplaceme­nt » leur soient utiles dans les sondages n’en dépasse pas moins l’entendemen­t.

Avant Biden, d’autres présidents (y compris, en son temps, le républicai­n George W. Bush) ont en vain tenté de trouver aux problèmes migratoire­s une solution qui passait par la régularisa­tion du statut de millions de personnes en situation irrégulièr­e. Le fait est que, sous Biden, plus de 1,3 million de migrants ont été expulsés des États-Unis et que sa présidence continue en réalité d’appliquer plusieurs des politiques restrictiv­es qu’a utilisées Trump au nom de ses sentiments xénophobes. À parler absurdemen­t d’« insurrecti­on » démocrate, les républicai­ns ont forcément une poutre dans l’oeil, eux qui se démènent depuis des années pour conserver le pouvoir par gerrymande­ring et adoption de lois restreigna­nt le droit de vote des minorités.

Lundi, seule contre tous, la représenta­nte Liz Cheney, républicai­ne ostracisée par les siens depuis le 6 janvier 2021, a accusé la direction de son parti d’avoir « facilité » l’expression du suprémacis­me blanc et de l’antisémiti­sme. Ses collègues n’ont, pour ainsi dire, rien voulu entendre.

La dérive antidémocr­atique des républicai­ns est patente. Où conduira-telle les États-Unis ?

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