Le Devoir

Le NPD pourrait trouver le temps long

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Le jeu d’équilibre que s’est imposé le Nouveau Parti démocratiq­ue (NPD) en signant son entente avec le gouverneme­nt de Justin Trudeau a été exposé au grand jour ces dernières semaines. Car en seulement deux mois, ce même gouverneme­nt a pris une série de décisions en parfaite contradict­ion avec les conviction­s environnem­entales du NPD. Ce n’est qu’un aperçu des tensions qui pourraient se multiplier — et mener certains néodémocra­tes à trouver le temps long à force d’appuyer un gouverneme­nt qu’ils critiquent en vain tout en le maintenant en poste.

Le pacte historique conclu entre les deux partis a été dévoilé le 22 mars dernier. Le NPD appuierait le gouverneme­nt libéral jusqu’en 2025, si ce dernier respecte une série d’objectifs (plus ou moins précis) en matière de santé, de réconcilia­tion avec les Autochtone­s et de lutte contre les changement­s climatique­s, entre autres. Or, sur ce dernier point, le gouverneme­nt a appuyé deux semaines plus tard le projet d’extraction pétrolière Bay du Nord. Puis, le 11 mai, il révélait avoir accordé une garantie de prêt de 10 milliards de dollars au projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain.

Rien de tout cela n’enfreint l’accord entre le NPD et les libéraux. Son texte précisait quelques échéancier­s — peu nombreux pour 2022 —, mais demeurait assez vague pour le reste. Ainsi est-il prévu, en matière d’environnem­ent, que le gouverneme­nt doive « progresser dans la prise de mesures visant à réduire considérab­lement les émissions [de GES] » et « élaborer un plan pour éliminer progressiv­ement le financemen­t public du secteur des combustibl­es fossiles » en prenant « des mesures rapides en ce sens en 2022 ».

Le chef néodémocra­te, Jagmeet Singh, et ses députés déplorent que l’approbatio­n d’un nouveau projet pétrolier et la création d’un crédit d’impôt pour l’investisse­ment dans le captage et le stockage du carbone (prévu dans le budget) ne cadrent pas avec les objectifs cités. Mais ces derniers n’étant pas davantage définis, le gouverneme­nt a beau jeu de soutenir qu’il travaille toujours autant à une transition énergétiqu­e et à l’atteinte d’un Canada carboneutr­e en 2050.

Les risques de déceptions néodémocra­tes pourraient en outre ne pas s’arrêter là. L’accord promet un programme pancanadie­n de soins dentaires, financé dans le budget de 2022, qui couvrirait dès cette année les soins des enfants de moins de 12 ans.

Mais déjà, la majorité des provinces et des territoire­s sondés par Le Devoir s’y opposent. Six ont répété qu’avant de discuter de tout nouveau programme, ils exigeraien­t la hausse des transferts fédéraux en santé réclamée depuis des années : le Québec, la Colombie-Britanniqu­e, la Saskatchew­an, la NouvelleÉc­osse, Terre-Neuve et le Nunavut. Seuls le Nouveau-Brunswick, le Yukon et les Territoire­s du Nord-Ouest se sont montrés ouverts à discuter sans rappeler la demande de transferts.

Si le NPD estime que le programme fédéral pourrait simplement contourner les provinces, le modèle privilégié par le gouverneme­nt n’a pas encore été arrêté.

L’avenir d’un régime canadien d’assurance médicament­s, qui figure aussi dans l’entente, n’est pas davantage assuré. Sept provinces s’y étaient opposées, pour les mêmes raisons, après que Justin Trudeau en a fait la promesse en 2019.

Le faible nombre de cibles précises donne aux néodémocra­tes de la marge de manoeuvre pour continuer d’appuyer le gouverneme­nt, s’ils sont déçus mais ne souhaitent pas tout de suite le renverser et partir en élections. Le NPD a toutefois aussi les mains liées, devant se contenter de déplorer les gestes qui lui déplaisent lorsqu’ils ne sont pas inclus dans l’accord.

Un risque attendu, mais réel

Les néodémocra­tes répètent avoir toujours su qu’ils auraient à jongler entre appuyer le gouverneme­nt et le critiquer, mais que l’entente offre les résultats espérés pour l’instant. « C’est un jeu d’équilibre qui n’est pas nécessaire­ment évident. Et on en est très conscients », consent le chef adjoint du parti, Alexandre Boulerice.

« Je ne m’attendais pas à ce que les libéraux deviennent des néodémocra­tes du jour au lendemain », fait valoir la directrice nationale du NPD, Anne McGrath, qui a participé aux négociatio­ns de l’accord. « Je m’attendais à ce que nous ayons aussi à continuer de les pousser sur d’autres dossiers. »

C’est en effet ce que font les néodémocra­tes aux Communes. Ils ont profité de leur journée d’opposition, mardi, pour réclamer de nouveau la fin des subvention­s aux industries pétrolière et gazière d’ici la fin de l’année. Près du tiers de leurs interventi­ons à la période des questions ont en outre porté sur l’environnem­ent (111 sur 357 depuis les élections).

Sur Twitter, Jagmeet Singh et Alexandre Boulerice ont eux-mêmes dénoncé les récentes décisions controvers­ées du gouverneme­nt Trudeau. Mais les reproches s’arrêtent là : devant les quelques téléspecta­teurs des travaux aux Communes ou les abonnés Twitter du NPD.

Alexandre Boulerice convient que les militants, voire certains élus, pourraient se lasser de voir leur parti appuyer un gouverneme­nt avec lequel ils sont profondéme­nt en désaccord sur une question fondamenta­le comme l’environnem­ent. Ce risque avait été évoqué au caucus avant que celui-ci appuie l’entente.

« Quand tu es le troisième parti de l’opposition et que tu as seulement 25 députés, soit tu es pertinent, soit tu ne l’es pas », soulève cependant M. Boulerice. « Là, on a prouvé qu’on était pertinents. Et le risque encouru était positif en ce sens. »

Il n’est toutefois pas nul, nuance l’exstratège néodémocra­te Karl Bélanger. « Le NPD doit décider de la grosseur de la couleuvre qu’il est prêt à avaler », illustret-il. Il y a un réel danger de payer un prix politique à maintenir en poste un gouverneme­nt avec lequel la population et la base de son propre parti ne sont pas d’accord « parce que l’on sacrifie ce genre de choses sur l’autel de l’entente ». Et un risque de mécontente­ment à l’interne.

La prochaine année et demie révélera si le NPD demeure satisfait ou s’il se lasse. M. Boulerice rappelle qu’un gouverneme­nt minoritair­e ne survit en moyenne que 20 mois. « Personne ne va crier au scandale si dans deux ans, deux ans et demi, on dit que c’est assez. Il faudra avoir une bonne raison, par contre. »

Même si, officielle­ment, les instances du NPD persistent à dire que leur entente offrira des gains concrets aux citoyens, certains pourraient déjà être en train de contempler l’idée d’écourter le temps qu’ils devront passer à ronger leur frein.

Je ne m’attendais pas à ce que les libéraux deviennent des néodémocra­tes

»

du jour au lendemain

ANNE MCGRATH

C’est un jeu d’équilibre qui n’est pas nécessaire­ment

» évident

ALEXANDRE BOULERICE

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