Le Devoir

Après le désastre, la réparation

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Si on doutait de l’utilité et de l’éclairage additionne­ls d’un énième rapport sur l’hécatombe survenue dans les CHSLD du Québec lors de la première vague de la pandémie, soyons détrompés. Oui, le rapport très attendu de la coroner Géhane Kamel ajoute des éléments concrets à la trame de fond, confirme ou précise certaines théories avancées auparavant, et propose surtout des avenues de correction on ne peut plus concrètes. But visé : éviter qu’un tel déni de société civilisée porte à nouveau la signature du Québec.

La compétence principale d’une coroner est de juger des causes des décès lorsque ceux-ci sont violents, obscurs ou potentiell­ement causés par de la négligence. Dans son analyse détaillée de chacune des 47 morts survenues au CHSLD Herron entre le 12 mars et le 1er mai 2020, Géhane Kamel fait le récit inédit de fins de vie déchirante­s, dont on peine à imaginer l’impact sur les familles. Les résidents de Herron, plusieurs arrivés là dans les jours ou les semaines précédant leur mort, ont vécu leurs derniers instants déshydraté­s, esseulés, affamés, mal soignés, négligés et, parfois même, oubliés. Pour ausculter la tragédie de tous ces décès en CHSLD, où le Québec remporte la palme du taux le plus élevé au Canada, plusieurs rapports précédents avaient pointé les mêmes possibles causes, pavant la voie à ce que Mme Kamel appelle ici une « catastroph­e annoncée ». La désertion du personnel soignant, le manque d’équipement de protection, les hiatus importants dans la chaîne de communicat­ion, l’absence de commandes claires, la fermeture des portes aux proches aidants, l’approche « milieu de vie » en contraste complet avec celle du « centre hospitalie­r ».

La coroner vient colorer le portrait avec des précisions de nature médicoléga­le, dont certaines sont à glacer le sang : dans plusieurs dossiers, on note une absence de notes médicales, ou en tout cas des rapports faméliques et non complétés pendant des semaines. Des « oublis » de service de plateaux de nourriture. Un homme tombé dans la salle de bains et resté là tout seul malgré des appels à l’aide répétés. Des accidents qui ont parfois provoqué une détériorat­ion de l’état général du patient, menant au décès. Il y a eu des patients déshydraté­s, ça, on le sait. Une absence fréquente de réelle cause de la mort, par manque de suivi médical adéquat. Une indisponib­ilité des tests COVID qui fait souvent conclure à la coroner qu’on suppute la COVID comme cause probable de décès, sans toutefois pouvoir l’affirmer. Bref, ces gens sont décédés dans un contexte de négligence et d’abandon. Voilà la terrible « vérité » que les familles ont eue à affronter.

Le rapport de la coroner Géhane Kamel a servi plusieurs fois de paravent au gouverneme­nt Legault lorsque des demandes pressantes de commission d’enquête publique lui ont été formulées, comme ce fut le cas en cette colonne. Chaque fois, le premier ministre et son équipe disaient vouloir attendre ses conclusion­s et reprochaie­nt aux demandeurs de chercher à tout prix à identifier des « coupables ». Mardi, une première démission est tombée dans la foulée du rapport de Mme Kamel, en la personne de Lynne McVey, p.-d.g. du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île, qui était responsabl­e du CHSLD Herron. Ce départ n’est pas étonnant compte tenu du mauvais rôle qu’elle a joué dans le scénario. Il s’accorde avec le souhait du premier ministre Legault de déceler plus d’imputabili­té.

Plus que des démissions, il faut espérer désormais des actions afin que se renverse cette trame sociologiq­ue qui fait du Québec un endroit où il ne fait pas si bon vieillir, après tout. S’il est sincère dans sa volonté de changement, le gouverneme­nt Legault doit honorer les recommanda­tions de la coroner.

Une des idées phares du rapport concerne la transforma­tion des CHSLD privés en centres privés convention­nés, ce qui permettrai­t à la fois d’assurer un financemen­t plus pérenne et un contrôle de la gestion plus efficace. Cela serait suivi de près par une bonificati­on imposante du système de soins à domicile, une avenue qui a maintes fois été avancée dans le passé comme planche de salut. L’idée d’un service civique d’urgence, comme on en voit un pour les catastroph­es naturelles, n’est pas vilaine. La nécessité de protéger l’indépendan­ce du directeur national de santé publique a été démontrée avec éloquence, et Horacio Arruda fait partie des écorchés du rapport Kamel, justement pour la confusion qui l’enveloppai­t lors de certaines recommanda­tions, notamment liées à la disponibil­ité des équipement­s de protection sur le terrain.

L’une des défaillanc­es les plus douloureus­es ayant mené à l’« hécatombe » restera sans contredit la priorisati­on du modèle hospitalie­r au détriment de la formule CHSLD, ainsi que l’impression très nette de naviguer en « seconde zone » lorsqu’il est question de ces centres de soins de longue durée. Il est à souhaiter qu’une nouvelle philosophi­e de respect et de bienveilla­nce vienne dicter les choix politiques du Québec. Les projection­s démographi­ques nous incitent à tout mettre en oeuvre pour que le Québec soit fou de ses aînés.

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