Le Devoir

Le Canada isolé sur la scène internatio­nale ?

- Jocelyn Coulon

L'auteur est chercheur au Centre d'etudes et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal (CERIUM). Il a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017. Il publiera dans quelques semaines, avec trois autres chercheurs, Marginalis­é. Réflexions sur l’isolement du Canada dans les relations internatio­nales.

Le Canada est-il isolé sur la scène internatio­nale ? La semaine dernière, à Ottawa, un aréopage d’experts et de personnali­tés politiques s’est penché sur le rôle du Canada dans le monde et a tenté de tirer quelques enseigneme­nts vus à travers le prisme de la guerre en Ukraine et de la dégradatio­n des relations entre grandes puissances. Le constat s’est rapidement dégagé sur le Canada et confirme ce que de nombreux chercheurs relèvent depuis plusieurs années : il compte de moins en moins.

Le Canada ne manque pourtant pas d’atouts sur les plans économique, humain, militaire et des richesses naturelles, a dit l’ex-ambassadeu­r à Washington Franck McKenna, « mais il semble incapable de les mobiliser ». Le problème, a souligné pour sa part l’ancien premier ministre Joe Clark, est que Justin Trudeau dirige « un gouverneme­nt remarquabl­ement replié sur lui-même. Nous ne sommes pas suffisamme­nt engagés. Certains ministres sont de grande qualité, mais, dit-il, ils ne s’imposent pas assez. Ils se rendent aux événements pour faire partie de la photo, puis ils quittent la scène ».

Cette passivité a fait dire à John Manley, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sous Jean Chrétien, que « nous sommes plus isolés du monde que nous ne l’avons jamais été ».

J’ai demandé à Manley de développer ce constat pour le moins pessimiste. Il a pris comme exemple la relation avec les États-Unis. « Les années Trump ont démontré qu’il n’y avait pas de “relation spéciale” si spéciale qu’elle l’emporte sur les intérêts nationaux », écrit-il dans un courriel. En fait, la relation avec les États-Unis est loin d’être stabilisée, Biden défendant bec et ongles la loi « Buy America ». Comble de l’absurde, souligne Manley, les États-Unis pensent même acheter du pétrole vénézuélie­n plutôt que canadien afin de remplacer leur approvisio­nnement russe.

Mais ce qui choque le plus Manley est la propension du gouverneme­nt à donner des leçons au monde entier sans pourtant en tirer le moindre bénéfice. « Notre politique étrangère fondée sur les valeurs s’est transformé­e en une litanie de plaintes perpétuell­es et de postures vertueuses qui ont fait de nous un pays sans importance que plus personne n’écoute », écrit-il.

Les dernières déclaratio­ns de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et de l’ambassadeu­r du Canada aux Nations unies, Bob Rae, tendent à conforter les pires appréhensi­ons de John Manley.

Une diplomatie de postures

Il y a quelques semaines, après qu’on lui a demandé pourquoi le Canada exigeait l’expulsion de la Russie du G20, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a répondu : « mon objectif est de m’assurer que je ne suis pas assise à la même table que Lavrov, ni le premier ministre [avec Poutine] ». Cette déclaratio­n est incompatib­le avec le travail diplomatiq­ue, dont l’effort consiste à discuter avec toutes les parties.

Si la position de Joly avait été érigée en doctrine par les Occidentau­x depuis des décennies, rien de concret n’aurait été accompli sur la scène internatio­nale pour réchauffer les relations entre pays ou régler les conflits. Le comporteme­nt des Américains dans le dossier afghan en est un bon exemple. Longtemps, ils ont considéré les talibans comme des terroriste­s. Puis, soudaineme­nt, ils se sont assis à la table avec ces terroriste­s, ont signé un accord de paix avec eux et ont quitté l’Afghanista­n.

La diplomatie doit souvent s’exercer en toute discrétion, particuliè­rement au sein des grandes organisati­ons internatio­nales où les discussion­s de couloir donnent souvent des résultats. Qu’à cela ne tienne, Bob Rae a préféré se donner en spectacle sur une question qui ne trouve et ne trouvera aucune solution : l’avenir du droit de veto accordé aux cinq grandes puissances membres permanente­s du Conseil de sécurité. Le mois dernier, l’Assemblée générale a adopté une résolution leur demandant de justifier leur recours au veto.

Rae en a profité pour élargir le débat et se lancer dans une attaque en règle contre un droit de veto « aussi anachroniq­ue qu’antidémocr­atique », feignant d’oublier que le Conseil de sécurité, dont les attributio­ns sont inscrites dans la Charte de l’ONU, n’a pas été créé pour être démocratiq­ue, mais efficace et représenta­tif de la hiérarchie de puissance dans la société internatio­nale. Le veto, écrit le juriste français Serge Sur, a son utilité : lors d’un conflit, il calme le jeu au sein du Conseil et évite une crise institutio­nnelle, il préserve la paix en empêchant l’aggravatio­n de la situation, et il écarte la sortie de l’ONU d’une ou de plusieurs grandes puissances dont les intérêts se trouveraie­nt lésés. Tout cela est une évidence depuis 1945.

Quelque chose me dit que les représenta­nts des cinq grandes puissances, pour une fois tous unis sur une question, devaient ricaner en écoutant l’ambassadeu­r canadien jouer les Don Quichotte des temps modernes. Le Conseil de sécurité est une formidable machine pour régler certains conflits lorsque les États membres et en particulie­r les cinq grands en décident. Mais lorsqu’un État comme le Canada entend priver les cinq de leurs privilèges, il ne peut que provoquer une réaction de rejet et se disqualifi­er. Cette résolution en forme de voeux pieux dont la diplomatie canadienne raffole ne changera rien au comporteme­nt des grandes puissances.

Les discours à l’emporte-pièce et les postures vertueuses masquent l’impuissanc­e de la diplomatie canadienne sur la scène internatio­nale. Ottawa peut-il changer de logiciel ? Encore faudrait-il que les dirigeants canadiens procèdent logiquemen­t. On nous promet pour bientôt une politique de défense sans même avoir défini le cadre de politique étrangère dans laquelle elle s’inscrira. Comprenne qui pourra.

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