Un jury en ces temps troublés
Accompagné de ses acolytes, le président du jury et acteur français, Vincent Lindon, est allé à la rencontre des journalistes sur la Croisette
Tradition oblige : l’acteur français Vincent Lindon, président du jury du 75e Festival de Cannes, est venu rencontrer mardi les journalistes, entouré de son aréopage. Un exercice qui se déploie d’une fois à l’autre entre bonnes intentions, plaisir de cinéphiles, envie d’en découdre et réponses aux crises sociales et politiques venues assombrir de nuages le beau soleil sur la Croisette.
Sur ce jury, des cinéastes de tous horizons et de toutes obédiences : l’Américain Jeff Nichols, l’Iranien Asghar Farhadi, le Norvégien Joachim Trier, le français Ladj Ly, l’actrice et réalisatrice américaine Rebecca Hall. Dans les rangs des interprètes : l’Indienne Deepika Padukone, l’Italienne Jasmine Trinca et la Suédoise Noomi Rapace. Tous manifestement heureux de leur sort, même si Asghar Farhadi s’est déclaré désolé pour son pays : « Une culture, une civilisation si riche et un présent tellement catastrophique. Les pressions économiques et politiques sur mon peuple sont terribles. »
Car le monde va mal. Comment, après deux cuvées pandémiques et en pleine invasion de l’Ukraine, se sentent les privilégiés venus jauger des films à Cannes ?
Par le coeur
Tout en se déclarant fou de joie d’occuper ce siège, Vincent Lindon, primé ici pour La loi du marché de Stéphane Brizé en 2015, s’en est bien sorti. Conscient de la responsabilité qui lui échoit, transformé comme tout un chacun par les confinements et par le sang versé en Ukraine, mais épris d’équité.
« C’est sûr que les deux années écoulées et cette guerre depuis quelques mois nous influencent inconsciemment, mais elles nous poussent aussi à faire attention, à être dignes, à nous tenir droits en hommage à ceux qui vivent des jours beaucoup plus difficiles que les nôtres. Certains films n’aborderont pas des questions sociétales ou politiques, et il ne faut pas les pénaliser pour autant. »
Son rêve est de redevenir le spectateur qu’il était, enfant. « Je voudrais que ça passe par le coeur avant de remonter plus haut, dévissant mon cerveau comme une ampoule dans une lampe. Je veux accepter tous les cinémas du monde, laisser l’émotion agir, ne pas juger d’abord, mais digérer et aimer, faire mon travail joyeusement et profiter de tous les instants, car ça ne reviendra plus jamais. »
Pour le jury, les films sont d’autant plus importants en des temps troublés qu’ils voyagent et influencent le public. « Je crois que le cinéma a la possibilité de transformer nos vies », assure Jasmine Trinca. Quant au Norvégien Joachim Trier (Oslo, 31 août), il déclare être devenu cinéaste en regardant des films. « Le cinéma est une étrange machine pour les gens capables d’empathie, estime-t-il. Sur le plan humain, ça augmente cette faculté. »
Parité, diversité et possible plagiat
Les questions de parité demeurent lancinantes à Cannes, où les cinéastes femmes sont depuis toujours sous-représentées. Aux yeux de Jasmine Trinca, les choses évoluent, mais tant de chemin reste à faire. Pour elle, Cannes fut un vrai berceau. À l’affiche du film de Nanni Moretti (La chambre du fils) qui avait remporté la Palme d’or en 2001, elle avait vécu son initiation sur la Croisette dans une sorte de magie. « J’ai grandi avec le festival. J’adore son esprit. »
Le cinéaste français Ladj Ly, enfant des banlieues françaises, dont le film Les misérables en 2019 aura fait sensation en plus de remporter le prix du jury, se pince encore pour y croire : « Gagner un prix à Cannes, ça change une vie. On peut partir de tout en bas et se retrouver ici sur ce jury. »
Un mot sur les laborieuses explications d’Asghar Farhadi, empêtré à Téhéran dans une histoire de plagiat réelle ou présumée, qui a fait les manchettes cette année. Une de ses étudiantes le poursuit en assurant qu’il a copié le sujet de son propre documentaire dans son film Un héros. En gros, le cinéaste iranien déclarait mardi que des faussetés circulent en Occident sur cette affaire : selon ses dires, non, il n’a pas été condamné ; non, le procès n’a pas encore eu lieu ; oui les faits divers appartiennent au domaine public et chacun peut les traiter à sa manière. Dont acte ! La suite de cette saga sera à suivre au fil des mois.
C’est sûr que les deux années écoulées et cette guerre depuis quelques mois nous influencent inconsciemment, mais elles nous poussent aussi à faire attention, à être dignes, à nous tenir droits en hommage à ceux qui vivent »
des jours beaucoup plus difficiles que les nôtres VINCENT LINDON