Le Devoir

Pour la reconstruc­tion du Centre commercial du Domaine-de-l’Estérel

- Étienne Desrosiers Cinéaste, Val-David

Si la destructio­n sauvage du Centre commercial du Domaine-del’Estérel, dans les Laurentide­s, par l’empire immobilier Olymbec (qui défend pour sa part la thèse d’une destructio­n « accidentel­le » attribuabl­e à NZO Constructi­on, l’entreprene­ur chargé d’en démolir la partie arrière) constitue une catastroph­e pour le patrimoine des Québécois et de tous les Canadiens, c’est aussi un test pour notre système judiciaire. L’importance historique et patrimonia­le du bâtiment a été soulignée sur quelques tribunes ces derniers jours.

Néanmoins, la séquence de ce crime violent soulève plusieurs questions, et certains éléments troubles de cette triste affaire pourraient de nouveau inspirer le romancier belge de polar Georges Simenon qui fréquenta le domaine dans les années trente.

Les travaux de démolition autorisés de la partie non classée du bâtiment ont commencé lundi 9 mai. Deux jours après, dans Le Devoir, photo évidente à l’appui, l’organisme de sauvegarde du patrimoine architectu­ral moderne Docomomo sonne l’alarme et convoque l’État, mais aussi la société civile, devant la menace imminente de destructio­n totale du joyau. Le gouverneme­nt provincial est-il prévenu à ce moment-là ?

Ce monument moderniste construit en 1936 était situé sur le chemin du nom de son bâtisseur, le baron Empain, juste avant qu’il s’engage sur une presqu’île, où il faut donc revenir sur ses pas. Vu des airs, on y dénombre environ une soixantain­e de maisons. Donc, plusieurs résidents auront forcément vu le crime. Vendredi 13 mai, les pelles mécaniques attaquent la partie classée restante du bâtiment. En l’espace d’un épisode de Netflix, s’en est fini de la perle art déco.

On comprend aisément que la sauvegarde de la vie humaine prime sur celle du patrimoine bâti, mais a-t-on appelé la SQ durant le forfait ? Il y a un poste à Rawdon, l’autre à Sainte-Agathe, chacun à environ une demi-heure de route. A-t-on contacté la municipali­té, et a-t-elle dépêché un inspecteur ? A-t-il tenté de stopper le drame ? Finalement, personne pour appliquer la Loi. La ruine fumante est sise au creux d’une petite baie nommée Baie du Désespoir, cruelle ironie du sort.

L’État doit se munir de moyens pour sévir contre le viol de la Loi, mais aussi le prévenir. C’est notre responsabi­lité citoyenne de provoquer et stimuler la sauvegarde de notre patrimoine architectu­ral, chacun à sa manière. Mon cinéma documentai­re — Roger D’Astous, Luc Durand Leaving Delhi — révèle des personnage­s, événements et bâtisses qui ont fait le Québec. Lorsque ces bâtiments phares sont assassinés par une multinatio­nale qui bafoue sciemment la Loi, je m’insurge.

On pointe beaucoup du doigt le ministère de la Culture et des Communicat­ions dans cette affaire, avec raison. J’ose espérer que le drame de L’Estérel ne sera pas le dernier chapitre d’une longue série d’actions citoyennes visant à sauver, mais aussi à donner de nouvelles vocations au Domaine. Je salue en passant tous ces acteurs qui y auront mis, depuis tant d’années, leurs compétence­s, talents et passions ; les architecte­s Jean Damecour, Philippe Lupien et les autres, Docomomo, la Société d’histoire de Sainte-Marguerite-duLac-Masson, et j’en passe. Votre combat ne sera pas vain.

Le développem­ent immobilier est bien légitime, mais il doit être encadré par une robuste législatio­n punissant sévèrement tout promoteur qui s’en joue. Il y va de notre respectabi­lité nationale. Le coupable présumé ici est un empire financier de plusieurs centaines de millions de dollars qui a commis un crime qui est une insulte à notre patrimoine collectif. Il importe de donner l’exemple par une amende maximum ainsi que d’ordonner, comme le permet la Loi, à la charge d’Olymbec, la reconstruc­tion à l’identique du Centre commercial du Domaine-de-l’Estérel.

Toutes proportion­s gardées, la France a fait la même chose avec la cathédrale Notre-Dame-de-Paris.

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