Le Devoir

Jason Kenney rattrapé par la division au sein des conservate­urs

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA LE DEVOIR

La démission de Jason Kenney à l’issue du résultat décevant obtenu à son vote de confiance, mercredi, a causé une onde de choc sur la scène politique albertaine et chez la famille conservatr­ice canadienne. Les difficulté­s du premier ministre de l’Alberta, contesté au sein de son Parti conservate­ur uni (PCU), étaient toutefois bien connues. Et le sort qui lui a été réservé témoigne d’une division profonde qui déchire les conservate­urs albertains, mais aussi fédéraux.

Après avoir participé à la fondation du PCU, il y a cinq ans, en fusionnant le Parti progressis­te-conservate­ur albertain et le Wildrose, Jason Kenney s’est fait montrer la porte par une minorité de ses membres suffisante pour anéantir tout espoir qu’il pouvait entretenir de s’accrocher jusqu’aux élections générales de l’an prochain.

M. Kenney a remporté son vote de confiance par moins de 1000 voix, avec 51,4 % d’appui. Un résultat qu’il n’attendait pas, a-t-il avoué mercredi en annonçant sa démission.

Jeudi, au terme d’une rencontre de plusieurs heures, le caucus de sa formation a accepté de le maintenir en poste en attendant que son successeur soit choisi. M. Kenney a par ailleurs écrit au parti pour confirmer sa démission « à l’élection d’un nouveau chef » — mettant ainsi fin aux conjecture­s qui laissaient croire qu’il puisse briguer sa propre succession.

« Nous parlons beaucoup de la polarisati­on de la politique au Canada en ce moment. Mais en réalité, ce sont les conservate­urs qui sont polarisés », affirme Janet Brown, sondeuse à Calgary.

Ses propres coups de sonde démontrent que les néodémocra­tes — principal parti d’opposition en Alberta — sont quant à eux unanimes sur presque tous les dossiers de l’heure. « Quiconque gagne la chefferie conservatr­ice au fédéral fera face à un important défi pour rassembler cette grande famille, comme Jason Kenney a essayé de le faire. »

La gestion de la pandémie lui a causé des maux de tête. Il s’est vu reprocher à la fois de ne pas imposer suffisamme­nt de mesures sanitaires — par la population albertaine — et d’en imposer trop — par une partie des conservate­urs. Mais Jason Kenney s’est aussi fait reprocher un style de gouvernanc­e trop autoritair­e. Dès novembre 2019, avant même que la pandémie ne débute, Janet Brown constatait une baisse de popularité du premier ministre albertain.

Frédéric Boily, professeur de science politique à l’Université de l’Alberta, explique à son tour que M. Kenney est victime d’une mouvance à la droite de la droite politique qui a pris naissance avant l’arrivée de la COVID-19. Et la pandémie est venue exacerber les tensions, deux courants de pensée ayant émergé chez les conservate­urs : d’un côté, on prône un plus petit gouverneme­nt accordant une liberté absolue, et de l’autre, on observe un conservati­sme qui croit encore en une interventi­on de l’État.

Ce tirailleme­nt des forces a fait de Jason Kenney le dernier d’une série de premiers ministres albertains de droite qui ne sont pas parvenus à terminer leur mandat. Depuis 2004, seule la néodémocra­te Rachel Notley (qui demeure cheffe de son parti) a gouverné quatre ans.

« On est dans une période où il y a un risque de division et de factionnal­isme qui risque de faire éclater le mouvement conservate­ur, explique Frédéric Boily. On le voit dans la course à la direction du Parti conservate­ur fédéral également. »

Un reposition­nement face à Ottawa ?

Député fédéral de Calgary de 1997 à 2016 et ministre dans le gouverneme­nt de Stephen Harper de 2008 à 2015, Jason Kenney multipliai­t les sorties publiques contre Justin Trudeau. Son gouverneme­nt a contesté (en vain) la taxe carbone fédérale, et conteste encore la loi C-69 ayant resserré le processus d’évaluation environnem­entale d’Ottawa.

En coulisses au Conseil de la fédération, il était cependant moins revendicat­eur. Il défendait les intérêts de l’Alberta et se rangeait aux consensus de l’ensemble des provinces, rapporte une source au sein de l’une de celles-ci.

Janet Brown estime qu’il n’est pas garanti que le PCU campe plus à droite en choisissan­t son prochain chef. La fusion ayant donné naissance au parti a laissé bon nombre de progressis­tesconserv­ateurs albertains orphelins, lesquels pourraient décider de s’impliquer de nouveau, observe-t-elle.

Un retour aux sources du Wildrose pourrait en revanche calmer les factions séparatist­es de l’Alberta, qui se sentiraien­t de nouveau entendues au PCU.

Tout chef de parti et premier ministre albertain tiendra cependant toujours tête à Ottawa, confirme-t-elle, à l’instar de Frédéric Boily. « Les relations entre l’Alberta et Ottawa seront au beau fixe. Ou la températur­e pourrait monter encore », ajoute le politologu­e. Car M. Kenney s’est en outre fait reprocher de ne pas avoir obtenu de résultats face au gouverneme­nt fédéral de Justin Trudeau.

Les anciens chefs du Wildrose Brian Jean et Danielle Smith ont notamment annoncé qu’ils brigueraie­nt la succession de M. Kenney. En confirmant ses intentions jeudi, Mme Smith a fait valoir que l’Alberta devrait, comme le Québec, revendique­r ses droits face à Ottawa.

Nous parlons beaucoup de la polarisati­on de la politique au Canada en ce moment. Mais en réalité, ce sont les conservate­urs qui » sont polarisés. JANET BROWN

 ?? DAVE CHIDLEY LA PRESSE CANADIENNE ?? La premier ministre Jason Kenney a quitté son poste de chef du Parti conservate­ur uni mardi soir, après avoir reçu 51,4 % de soutien de son caucus lors d’un vote de confiance.
DAVE CHIDLEY LA PRESSE CANADIENNE La premier ministre Jason Kenney a quitté son poste de chef du Parti conservate­ur uni mardi soir, après avoir reçu 51,4 % de soutien de son caucus lors d’un vote de confiance.

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