Le Devoir

Une société normale

- ROBERT DUTRISAC

La plupart des opposants au projet de loi 96 « sur la langue officielle et commune du Québec, le français », que ce soit Marlene Jennings, du Quebec Community Groups Network (QCGN), ou la cheffe libérale, Dominique Anglade, reconnaiss­ent l’importance d’assurer la vitalité de la langue française au Québec.

Dans son mémoire présenté lors des consultati­ons publiques sur le projet de loi 96, le QCGN réitère presque mot pour mot l’objectif de la loi 101 lors de son adoption, en 1977 : assurer que le français, dont il faut se soucier de la vitalité et de l’influence, soit la langue du gouverneme­nt et des lois, ainsi que la langue normale « au travail, en éducation, dans les communicat­ions, le commerce et les affaires ». Mais quand il est question de prendre des mesures concrètes pour y arriver, le QCGN se rebiffe. Il ne se contentera de rien d’autre que le statu quo : l’État québécois communique en français ou en anglais au choix de la personne à qui le service est fourni. Il dénonce la distinctio­n qu’introduit le gouverneme­nt caquiste entre la minorité historique formée d’ayants droit qui ont reçu ou qui ont le droit de recevoir leur éducation en anglais au Québec, et les autres, notamment les immigrants, avec qui l’État ne communique­ra qu’en français.

Le QCGN, ainsi que d’autres opposants, a cherché des poux au projet de loi 96, qui en recèle certaineme­nt. Mais, en réalité, c’est à son économie même, à un de ses objectifs fondamenta­ux, qu’il s’oppose, celui de transforme­r un gouverneme­nt qui pratique le bilinguism­e institutio­nnel en un gouverneme­nt qui fonctionne en français sauf en cas d’exceptions prévues à la loi. Cet objectif n’est pas différent de celui de la loi 101, telle que conçue par Camille Laurin et Guy Rocher, objectif jamais véritablem­ent atteint, il faut dire, et dont on s’éloigne.

Commençons par rappeler ce que le projet de loi ne change pas, malgré les épouvantai­ls qu’on a brandis. C’est le cas des services de santé, où les patients continuero­nt à pouvoir être soignés en anglais ou même si possible dans des langues tierces. Qui plus est, la Loi sur les services de santé et les services sociaux, qui affirme le droit pour toute personne de langue anglaise de recevoir les services en anglais, continue de s’appliquer intégralem­ent. À la demande des députés libéraux, un amendement qui ajoute les bretelles à la ceinture fut même adopté.

On a aussi relevé le fait que les employés de l’État ne pourront pas communique­r avec les immigrants dans une autre langue que le français après une période de six mois suivant leur arrivée. Là, le gouverneme­nt s’est tiré dans le pied. Fixée arbitraire­ment, cette période est perçue comme le délai que le gouverneme­nt donne à un nouvel arrivant pour apprendre le français, ce qui, dans bien des cas, est trop court. Dans le milieu de l’éducation, on s’inquiète pour ces parents venus d’ailleurs qui ne comprennen­t pas le français et qui ne seront pas en mesure d’obtenir l’informatio­n pertinente que les enseignant­s ou des profession­nels en aide pédagogiqu­e voudraient leur transmettr­e sur leur enfant.

Le gouverneme­nt caquiste a toutes les cartes en main pour éviter les aberration­s. Le projet de loi 96 est nécessaire, bien que son caractère tatillon puisse parfois rebuter.

Il est maintenant trop tard pour apporter des amendement­s au projet de loi avant son adoption, prévue pour la semaine prochaine. Or, les torts peuvent être évités et le bon sens prévaloir. Le cadre législatif doit être complété par des politiques et des directives, notamment pour préciser les cas où une autre langue peut être utilisée lorsque « les principes de justice naturelle l’exigent ». En outre, et c’est peut-être le plus important, le ministre détient le pouvoir de procéder par règlement.

Les cégeps anglais accueiller­ont le même nombre d’étudiants qu’avant. La polémique soulevée par l’ajout de cours de français ne fait que souligner que plusieurs étudiants ont une piètre connaissan­ce de la langue supposémen­t commune. Mélangeant les dossiers, le gouverneme­nt caquiste s’est toutefois montré mesquin — on comprend les gains bassement politiques qu’il poursuivai­t — en annulant l’agrandisse­ment de Dawson. Cet agrandisse­ment, tout comme ceux de cégeps français à Montréal, répond aux normes minimales du ministère, qui l’a autorisé.

Il n’en demeure pas moins que les opposants ont bien souvent versé dans les procès d’intention. Le gouverneme­nt caquiste a toutes les cartes en main pour éviter les aberration­s. Le projet de loi 96 est nécessaire, bien que son caractère tatillon puisse parfois rebuter. On aurait envie de dire comme René Lévesque, qui, dans une assemblée du Parti québécois après l’adoption du Bill 63, de triste mémoire, lançait ce cri du coeur : « Je suis écoeuré de parler de langue. Dans une société normale, elle se parle toute seule, la langue. » Cinquante ans plus tard, le Québec n’est toujours pas une société normale et demeure une nation qui craint la dissolutio­n.

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