Le Devoir

Rase campagne

C’est l’image de tous les promoteurs qui pâtit de la destructio­n illégale du complexe du Domaine-de-l’Estérel

- Jean-Christophe Gaudreault-Fortier modus operandi.

L’indignatio­n est d’abord une affaire personnell­e. Étant architecte, résidant à temps partiel dans les Laurentide­s, je porte une attention et un attachemen­t particulie­rs aux rares témoins architectu­raux qui enrichisse­nt les paysages de la région. Le Domaine-de-l’Estérel en était un d’importance. Un legs. Chaque semaine, j’avais la chance de pouvoir observer ce fier et singulier immeuble, visible depuis la route, au loin, au bout du lac. Une oeuvre et un ouvrage d’une valeur irremplaça­ble et inimitable. Ma famille habite dans la région, mes racines y sont ancrées. J’ai pris la nouvelle de la démolition du Domainede-l’Estérel comme un coup droit au coeur. Un coup traître, un coup bas.

Mais n’en faisons pas une affaire personnell­e. Déjà, les réactions du maire de Sainte-Marguerite-du-LacMasson, où se trouve le complexe, comme de la ministre de la Culture du Québec me portent à croire que le sentiment est partagé par une certaine partie de la classe politique et, disons, de la population. Ce que représente cet acte de vandalisme, cependant, est à mon avis malheureus­ement représenta­tif de ce qu’il y a de plus vil et délétère au sein du monde des affaires et des développeu­rs : la primauté de l’enrichisse­ment personnel au détriment du bien collectif. On a ainsi dépouillé les Québécois d’une pièce de leur histoire et de leur patrimoine au profit du gain privé. Les règles étaient claires, stipulées. Les preuves sont accablante­s.

Bien que le propriétai­re des lieux, Olymbec, ait déclaré être ébahi et atterré par la nouvelle, le délai qu’aura exigé sa réponse comme les mesures prises en amont permettent de douter de la sincérité de cette déclaratio­n. Une certaine idéologie, qui survit toujours, supporte l’idée que la réussite en affaires n’est atteignabl­e que par la transgress­ion des règles établies. Cette façon de faire n’a plus sa place aujourd’hui, et la suite des événements, c’està-dire les sanctions qui seront portées à l’endroit du propriétai­re, devra lancer un message clair et univoque quant à la position de nos gouverneme­nts à l’égard du maigre patrimoine architectu­ral dont nous disposons.

Je le dis sans détour, tel qu’il a d’ailleurs été évoqué, exiger la reconstruc­tion à l’identique m’apparaît comme la seule solution pour qu’un minimum de justice soit rendu. Les amendes évoquées ne plairaient que trop à Richard Stern, président d’Olymbec, pour qui un petit million (somme dérisoire en comparaiso­n du coût de reconstruc­tion de l’édifice) n’affecterai­t en rien les activités d’un des plus importants propriétai­res immobilier­s du pays. Une activité aussi fondamenta­le (et lucrative dans ce cas) comporte son lot de restrictio­ns et règlements, et la compagnie ne peut prétendre avoir agi en vue de les respecter.

C’est l’image de tous les promoteurs qui pâtit d’un tel acte. Il y a lieu, dans ce cas comme dans la plupart des situations où la conservati­on d’un immeuble patrimonia­l semble si ardue et nuire à la viabilité du projet, de questionne­r la vision de l’instigateu­r. La plus-value que représente un tel édifice ne peut-elle pas être mise à profit ? Que viennent admirer les touristes ? Il y a des lacs par milliers dans les Laurentide­s, des sapins, des érables. Cet immeuble est ce qui rendait ce site si unique et attractif. Mais oui, ça aurait sans doute coûté plus cher, initialeme­nt, de le conserver. Les entreprene­urs pour qui un tel atout ne représente qu’une contrainte devraient regarder ailleurs. Courte vision. Court gain.

Un peu plus près du sol, il y a aussi lieu de critiquer les pratiques et la rigueur qui caractéris­ent le travail de plusieurs entreprene­urs en constructi­on, pour qui il est toujours plus simple de remplacer que de réparer. Estce un manque de savoir-faire, une question de valeurs ou simplement de la paresse ? Si le changement est ce qui motive le mouvement qui semble s’amorcer à la suite de ce triste épisode, la critique n’est pas l’avenue à préconiser, ni même l’éducation. Il faut encadrer, contrôler et sévir.

L’Histoire nous aura démontré qu’on ne peut faire confiance à nos concitoyen­s qui, seuls devant leur tâche, portés par leurs impératifs individual­istes, n’hésiteront point à rouler leur prochain. Maintenant, fournissez-leur un paravent, qu’ils agissent en qualité de citoyens liés à une entreprise, et la piraterie devient un

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