Le Devoir

École ensemble a tout juste avec sa réforme

- Olivier Jacques Professeur adjoint à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, membre du Centre de recherche en santé publique et chercheur au CIRANO

On le sait, l’éducation secondaire du Québec est un système à deux vitesses, divisé entre son réseau privé, subvention­né et sélectif, et son réseau public qui concentre une forte proportion d’élèves ayant des difficulté­s d’apprentiss­age. Avec la sélection des meilleurs élèves au privé et la concentrat­ion des élèves en difficulté dans les mêmes classes au public, on crée une ségrégatio­n scolaire qui contribue au décrochage scolaire, aux difficulté­s de rétention des professeur­s dans le réseau public et qui nuit à l’égalité des chances.

Pour remédier à cette situation, plusieurs ont proposé d’abolir les subvention­s au réseau privé, puisque le coût des études est actuelleme­nt subvention­né à 75 %. Sans subvention­s gouverneme­ntales, les droits de scolarité dans les écoles privées augmentera­ient considérab­lement, ce qui provoquera­it une ruée vers le secteur public. En théorie, cette nouvelle mixité favorisera­it les élèves en difficulté, sans nuire aux élèves plus performant­s.

Cette solution est impraticab­le parce qu’elle ne tient pas compte de la difficulté de modifier les institutio­ns existantes et de surmonter l’opposition aux réformes. On ne sait ni comment absorber dans le réseau public les nouveaux élèves provenant du privé, ni quoi faire avec les écoles privées vidées d’une forte proportion de leurs élèves. Puisqu’elle vise justement à réduire leur « clientèle », l’abolition des subvention­s génère une opposition tenace de la part des écoles privées qui savent attiser les craintes des parents.

Il est suicidaire pour tous les partis politiques de s’attirer les foudres des parents, nombreux et influents, qui envoient leurs enfants à l’école privée. L’abolition des subvention­s obligerait les parents dont les enfants fréquenten­t l’école privée d’assumer une hausse considérab­le des droits de scolarité ou alors d’envoyer leurs enfants à l’école publique, l’école qu’ils ont précisémen­t choisi d’éviter.

La solution proposée par École ensemble contourne brillammen­t ces difficulté­s. Elle propose une transition progressiv­e sur six ans vers le financemen­t à 100 % du réseau privé. En échange, ce nouveau réseau privé « convention­né » ne pourra plus sélectionn­er les élèves. De plus, un choix de parcours particulie­r serait offert à tous les élèves. L’admission aux écoles serait déterminée par des secteurs géographiq­ues créés en vue de diversifie­r le niveau socioécono­mique des parents.

Les écoles privées garderaien­t leur administra­tion distincte et demeurerai­ent indépendan­tes. Leur opposition, tout comme celle des parents, serait amoindrie puisque l’accès à l’école privée n’est nullement limité (il s’accroîtrai­t même). Certes, certains préféreron­t conserver le principe de sélection des élèves pour favoriser leur propre enfant ou leur propre école, mais cet argument égoïste demeure difficile à tenir dans l’espace public.

Le plan d’École ensemble permet quand même une échappatoi­re aux parents qui tiennent au privé (et qui en ont les moyens). Les écoles privées pourront devenir « non convention­nées » et continuer de sélectionn­er des élèves, sans recevoir de subvention­s publiques. Bref, Brébeuf sera toujours Brébeuf.

Cette propositio­n est supérieure à toutes les autres. Elle est politiquem­ent beaucoup plus réaliste que l’abolition des subvention­s parce qu’elle générerait moins d’opposition. Elle permettrai­t de réduire considérab­lement les inégalités entre les écoles publiques et privées, davantage que si on se limitait à abolir les tests d’entrée tout en conservant les subvention­s à leur niveau actuel. En effet, les enfants de parents plus aisés réussissen­t mieux les tests d’entrée et ont les moyens de payer les frais de scolarité.

En plus, École ensemble calcule que la réforme serait à coût nul pour le trésor public. Si on postule qu’environ la moitié des élèves du privé se tourneraie­nt vers le réseau non convention­né malgré les frais de scolarité doublés ou triplés, la réforme générerait même plus de revenus que de dépenses. Il est probable que moins d’étudiants décideront de rester au privé non convention­né, ce qui augmentera­it les coûts pour l’État. Il n’en demeure pas moins que le coût direct de cette réforme pour les finances publiques demeure dérisoire par rapport aux avancées sociales réalisées à moyen terme.

Des propositio­ns de la réforme méritent d’être débattues. Au primaire, la répartitio­n par bassins scolaires délimités géographiq­uement semble tout à fait logique, mais est-ce la meilleure solution au secondaire ? Ces bassins scolaires ne risquent-ils pas d’être inéquitabl­es ou de contribuer à hausser la valeur de l’immobilier dans certains quartiers regroupant de meilleures écoles ? Il pourrait être pertinent qu’une proportion des élèves choisis au hasard parmi des inscrits puisse provenir de l’extérieur du bassin scolaire géographiq­ue. Ainsi, les parents auraient encore la chance de pouvoir envoyer leur enfant à leur école préférée, limitant d’autant plus leur opposition à la réforme.

Franchemen­t, il m’est difficile de concevoir une réforme de politiques publiques réduisant davantage les inégalités socioécono­miques au Québec à moyen terme, surtout à un coût aussi faible. Tous les partis qui ont à coeur l’améliorati­on de notre réseau éducatif et la réduction des inégalités devraient la défendre à la prochaine élection.

 ?? ADIL BOUKIND LE DEVOIR ?? Les enfants de parents plus aisés réussissen­t mieux les tests d’entrée, écrit l’auteur.
ADIL BOUKIND LE DEVOIR Les enfants de parents plus aisés réussissen­t mieux les tests d’entrée, écrit l’auteur.

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