Une action collective contre le diocèse de Québec ira de l’avant
La poursuite pourrait représenter des milliers de victimes, selon les avocats qui pilotent le dossier
La Cour supérieure du Québec a autorisé une action collective visant l’ensemble des crimes sexuels perpétrés depuis 1940 par les personnes placées sous la responsabilité du diocèse de Québec. La poursuite, inédite par son ampleur, pourrait concerner des milliers de victimes.
Dans une décision de 14 pages, le juge Bernard Godbout donne le feu vert à la demande déposée en 2020 au nom de Gaétan Bégin et Pierre Bolduc. Les deux hommes affirment avoir subi les abus sexuels répétés de deux prêtres de leur paroisse dans les années 1950 et 1960. Le premier aurait enduré les sévices entre ses 14 et ses 17 ans, le second à partir de ses 12 ans.
Le recours demande que le diocèse soit tenu responsable des gestes criminels commis par quiconque était sous son autorité, que ces personnes aient été prêtres, employées ou bénévoles, religieuses ou laïques. Le territoire du diocèse, dont les frontières ont évolué au fil des décennies, couvre principalement, aujourd’hui, les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches.
L’action collective autorise également les héritiers et les ayants droit des victimes à réclamer un dédommagement en leur nom. Présentement, 88 personnes ont manifesté leur intention de se joindre au recours.
« C’est clair, pour moi, qu’il y a des centaines et des centaines de victimes qui vont s’ajouter » , indique l’avocat Alain Arsenault, qui pilote le dossier avec l’ancien ministre Me Marc Bellemare.
Des enquêtes menées dans d’autres pays occidentaux, notamment l’Irlande, l’Australie, l’Allemagne et les États-Unis, ont établi qu’entre 5 % et 7 % des prêtres ont agressé sexuellement des enfants.
« En 1960, poursuit Me Arsenault, il y avait 1000 prêtres au diocèse du Québec. Je vous parle seulement de 1960 : imaginez si nous additionnons toutes les années depuis 1940. »
L’avocat, dont le cabinet défend plusieurs actions collectives intentées à l’encontre de congrégations religieuses, voit une forte valeur symbolique dans celle portée contre le diocèse de Québec, fondé en 1674 par Mgr François de Laval.
« C’est le premier diocèse catholique implanté non seulement au Québec, juste au Canada ou en Amérique du Nord, mais dans toute l’Amérique, rappelle Me Arsenault. C’est une institution importante, qui fera d’ailleurs l’objet d’une visite du pape François cet été. »
Une « culture du silence »
La Cour supérieure autorise Gaétan Bégin et Pierre Bolduc à agir à titre de représentants de l’action collective. Selon le recours, ils accusent le diocèse d’avoir privilégié une « culture du silence » pour camoufler les gestes condamnables qu’auraient perpétrés ses préposés.
Selon Me Arsenault, la gestion des sévices qu’aurait endurés M. Bégin appuie cette prétention. « Le médecin du village a appris qu’il était victime d’agression sexuelle commise par le curé. Il a informé son père, qui est allé rencontrer les chanceliers de l’époque pour les aviser qu’un de leurs prêtres agressait un enfant. Les autorités épiscopales ont retiré le prêtre pour une période de repos d’un an. Après, poursuit l’avocat, ils l’ont placé dans la paroisse voisine, où il a agressé d’autres enfants. »
Maintenant que le recours a reçu l’aval de la Cour supérieure, la période d’inscription se poursuit jusqu’au début du procès. « Si tout fonctionne bien, c’est-à-dire que s’il n’y a pas de contestations secondaires à profusion comme nous le voyons dans certaines actions collectives, nous estimons que dans deux ans, ça peut être réglé », souligne Me Arsenault.
Le diocèse de Québec a réagi à la décision, vendredi après-midi : « À ce stade-ci, l’Archidiocèse de Québec n’a pas de commentaire particulier à formuler, mais nous réitérons notre volonté de collaboration avec les procureurs dans le cadre de ce dossier. »