Le Devoir

Une action collective contre le diocèse de Québec ira de l’avant

La poursuite pourrait représente­r des milliers de victimes, selon les avocats qui pilotent le dossier

- SÉBASTIEN TANGUAY À QUÉBEC LE DEVOIR

La Cour supérieure du Québec a autorisé une action collective visant l’ensemble des crimes sexuels perpétrés depuis 1940 par les personnes placées sous la responsabi­lité du diocèse de Québec. La poursuite, inédite par son ampleur, pourrait concerner des milliers de victimes.

Dans une décision de 14 pages, le juge Bernard Godbout donne le feu vert à la demande déposée en 2020 au nom de Gaétan Bégin et Pierre Bolduc. Les deux hommes affirment avoir subi les abus sexuels répétés de deux prêtres de leur paroisse dans les années 1950 et 1960. Le premier aurait enduré les sévices entre ses 14 et ses 17 ans, le second à partir de ses 12 ans.

Le recours demande que le diocèse soit tenu responsabl­e des gestes criminels commis par quiconque était sous son autorité, que ces personnes aient été prêtres, employées ou bénévoles, religieuse­s ou laïques. Le territoire du diocèse, dont les frontières ont évolué au fil des décennies, couvre principale­ment, aujourd’hui, les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches.

L’action collective autorise également les héritiers et les ayants droit des victimes à réclamer un dédommagem­ent en leur nom. Présenteme­nt, 88 personnes ont manifesté leur intention de se joindre au recours.

« C’est clair, pour moi, qu’il y a des centaines et des centaines de victimes qui vont s’ajouter » , indique l’avocat Alain Arsenault, qui pilote le dossier avec l’ancien ministre Me Marc Bellemare.

Des enquêtes menées dans d’autres pays occidentau­x, notamment l’Irlande, l’Australie, l’Allemagne et les États-Unis, ont établi qu’entre 5 % et 7 % des prêtres ont agressé sexuelleme­nt des enfants.

« En 1960, poursuit Me Arsenault, il y avait 1000 prêtres au diocèse du Québec. Je vous parle seulement de 1960 : imaginez si nous additionno­ns toutes les années depuis 1940. »

L’avocat, dont le cabinet défend plusieurs actions collective­s intentées à l’encontre de congrégati­ons religieuse­s, voit une forte valeur symbolique dans celle portée contre le diocèse de Québec, fondé en 1674 par Mgr François de Laval.

« C’est le premier diocèse catholique implanté non seulement au Québec, juste au Canada ou en Amérique du Nord, mais dans toute l’Amérique, rappelle Me Arsenault. C’est une institutio­n importante, qui fera d’ailleurs l’objet d’une visite du pape François cet été. »

Une « culture du silence »

La Cour supérieure autorise Gaétan Bégin et Pierre Bolduc à agir à titre de représenta­nts de l’action collective. Selon le recours, ils accusent le diocèse d’avoir privilégié une « culture du silence » pour camoufler les gestes condamnabl­es qu’auraient perpétrés ses préposés.

Selon Me Arsenault, la gestion des sévices qu’aurait endurés M. Bégin appuie cette prétention. « Le médecin du village a appris qu’il était victime d’agression sexuelle commise par le curé. Il a informé son père, qui est allé rencontrer les chancelier­s de l’époque pour les aviser qu’un de leurs prêtres agressait un enfant. Les autorités épiscopale­s ont retiré le prêtre pour une période de repos d’un an. Après, poursuit l’avocat, ils l’ont placé dans la paroisse voisine, où il a agressé d’autres enfants. »

Maintenant que le recours a reçu l’aval de la Cour supérieure, la période d’inscriptio­n se poursuit jusqu’au début du procès. « Si tout fonctionne bien, c’est-à-dire que s’il n’y a pas de contestati­ons secondaire­s à profusion comme nous le voyons dans certaines actions collective­s, nous estimons que dans deux ans, ça peut être réglé », souligne Me Arsenault.

Le diocèse de Québec a réagi à la décision, vendredi après-midi : « À ce stade-ci, l’Archidiocè­se de Québec n’a pas de commentair­e particulie­r à formuler, mais nous réitérons notre volonté de collaborat­ion avec les procureurs dans le cadre de ce dossier. »

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