Le Devoir

Le dessus du panier

- LOUIS HAMELIN

Dans les entrées de cour et les caniveaux de nos banlieues du nord de l’Amérique fleurissen­t, chaque printemps, des potences n’ayant rien à voir avec le sort malheureux réservé à certains patriotes, et qui font maintenant partie du paysage. Chacun de ces poteaux solitaires arbore un arceau de métal orné d’un filet percé et flanqué d’un panneau en matière synthétiqu­e. On dirait des palmiers sur une plage d’asphalte.

Si les paniers sont maintenant plus nombreux que les filets de hockey dans nos rues et nos allées de garage, ce ne fut pas toujours le cas. Il faut remonter aussi loin que la dernière coupe Stanley du Canadien (!) pour voir apparaître le basketball sur les radars du Québec, comme une simple retombée, sur notre parcelle nordique de culture mondialisé­e, de la météoritiq­ue flambée de popularité qui, ces années-là, a propulsé le basket de la NBA sur la scène planétaire.

Beau symbole : le soir même où la bande de Jacques Demers et de notre Carbo national, à coups de neuvaines à la bonne Sainte-Anne-de-Beaupré et d’arrêts miraculeux de saint Patrick, récolte sa vingt-quatrième Stanley (comme disait un Jean Dion) et renvoie Wayne Gretzky aux États, le 9 juin 1993, de l’autre côté de la frontière, un type appelé Michael Jordan enfonce 31 points contre les Suns de Phoenix pour entamer la troisième conquête de championna­t d’affilée des Bulls de Chicago. Pendant que Gretzky s’exilait sous les palmiers pour y vendre un sport de glace, Air Jordan, première mégastar sportive de l’ère mondialisé­e, se transforma­it en publicité vivante pour le basketball.

Sur la petite télé de mon appartemen­t montréalai­s situé à deux pas de la rue Sherbrooke, où venait tout juste de parader notre Sainte-Flanelle brandissan­t la coupe, j’ai pu suivre les exploits de ces Bulls de 1993 contre les Suns de Charles Barkley puisque, fait nouveau, la finale de la NBA était diffusée par une chaîne généralist­e locale, CTV.

Non contents de réaliser le premier triplé de titres depuis la monstrueus­e domination des Celtics de Boston dans les années 1960, les Bulls, menés par Jordan et son hallucinan­te moyenne de 33 points par match des séries, allaient refaire le coup avant la fin de la décennie. Les vingt-quatre victoires de ces six finales (d’une formule « quatre de sept ») ont été acquises contre un total de onze défaites. Jamais de septième match, jamais inquiétés, c’est bien simple : ils pulvérisai­ent l’opposition.

Intéresson­s-nous un peu à la séquence : champions de 1991 à 1993 ; puis Jordan, à la surprise générale (le mot est faible), annonce qu’il se retire en pleine gloire pour réaliser un rêve de gamin : jouer au baseball, avec passage obligé par les ligues mineures. Le premier choix au repêchage de 1984, Hakeem Olajuwon, à qui Jordan faisait de l’ombre, sera le grand bénéficiai­re de cette toquade : les Rockets de Houston décrochent la lune deux années de suite. Ensuite, Jordan reprend du service et donne aux Bulls trois saisons de plus qui se transforme­nt en autant de championna­ts.

Et combien de fois, au cours de ce règne dynastique, le numéro 23 a-til été couronné meilleur joueur de la finale ? Deux ? Quatre ? Non… il a été sacré « MVP » les six fois.

Une telle séquence qui, dans tout autre sport, paraîtrait incroyable (comme les cinq titres de « joueur le plus utile » de Tom Brady en sept victoires au Super Bowl), semble presque normale au basketball. Ainsi, tandis que les Spurs de San Antonio et les Lakers de Los Angeles se partageaie­nt six des sept championna­ts suivants, les leaders de ces deux formations, Tim Duncan et le gros Shaq O’Neal, cette tour vivante qui chaussait du 23, s’accaparaie­nt trois titres de meilleur joueur chacun. On pourrait presque parler d’une forme de prévisibil­ité dans la consécrati­on personnell­e, liée à un aspect de ce jeu qui me fascine depuis longtemps : aucun autre sport d’équipe ne permet davantage au talent individuel de s’exprimer.

Je n’irai pas jusqu’à prétendre qu’il est impossible d’avoir, dans le basketball profession­nel, une sympathiqu­e équipe de plombiers soudée dur comme fer qui se rend jusqu’au bout. Mais les probabilit­és de voir une telle chose se produire semblent nettement meilleures au hockey, territoire par excellence de la « dureté du mental », ou même au soccer, où une sélection allemande d’inconnus au bataillon a pu humilier les Brésiliens et blanchir Messi et les Argentins au Mondial de 2014.

On peut aimer la parité et les surprises, mais voir des champions de l’anti-jeu rafler un trophée n’est jamais agréable, et j’avoue apprécier la logique qui règne sur un terrain de basket, où les dernières minutes et jusqu’aux ultimes secondes des rencontres peuvent s’étirer interminab­lement, mais où vous ne verrez jamais l’arbitre ranger son sifflet. Vous avez LeBron James dans votre équipe ? Vous allez gagner. Et pardonnez la tautologie, mais au basketball, les meilleurs ont le meilleur. Du moins, ça a fonctionné pour les Lakers, les Cavaliers de Cleveland et le Heat de Miami, deux fois.

Huit ans après le départ de « King James », le Heat se retrouve, ce printemps, dans le carré d’as des finales de conférence en compagnie des légendaire­s Celtics et des triples champions et quintuples finalistes de la décennie précédente, les Warriors de Golden State. Faute de parade rue Sherbrooke, il se pourrait que j’y jette un coup d’oeil.

 ?? JEFF HAYNES AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Avec Michael Jordan à leur tête, les Bulls de Chicago pulvérisen­t l’opposition dans la NBA du début des années 1990.
JEFF HAYNES AGENCE FRANCE-PRESSE Avec Michael Jordan à leur tête, les Bulls de Chicago pulvérisen­t l’opposition dans la NBA du début des années 1990.

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