Le Devoir

Au football comme à la guerre

Carl et Théo Leblanc unissent leurs voix dans Premier essai pour raconter une histoire vraie qui fait du bien

- MANON DUMAIS

Nul besoin d’être un expert du ballon ovale pour plonger dans Premier essai, roman à quatre mains de Carl Leblanc, écrivain (Artéfact, XYZ, 2012) et cinéaste (Perdre Mario, 2021), et de son fils, Théo Leblanc, étudiant en psychologi­e et aspirant romancier, dans lequel ils racontent les exploits des Aigles, équipe de football du collège Jean-Eudes.

« Ce n’est pas un roman à quatre mains, mais un roman à deux fois deux mains », rectifie Leblanc père. Très tôt, il y a eu cette idée que peu importe la toile de fond, qu’au-delà de l’histoire concrète de football, c’est avant tout un roman qui évoque cette chose énorme à laquelle on est confronté un jour ou l’autre dans la vie : est-ce que je dois y croire ou pas ? »

Narré par Théo, quart-arrière, et son père Carl, fier partisan, l’un reprenant le fil du récit où l’autre l’a laissé, Premier essai nous ramène en 2018, au moment où les Aigles convoitent le Bol d’or. À quelques détails près, l’histoire est vraie, et les personnage­s qu’on y croise, Jé, Max, Louis, coach Morin, Alice, Sophie, etc., existent bel et bien. C’est d’ailleurs la vraie Sophie qui a lancé l’idée à son conjoint et à son fils d’unir leurs voix afin de faire connaître leur point de vue sur ce qu’ils ont vécu deux ans avant que la pandémie les retienne à la maison.

« J’ai dit à Théo, c’est toi qui commences, se souvient Carl Leblanc. Quand j’ai lu le premier chapitre, j’ai découvert sa voix. La voix de son fils écrite, ce n’est pas la voix de son fils que l’on connaît. J’ai appris à connaître Théo un peu mieux comme narrateur, comme écrivain. Ce n’est pas un roman jeunesse, mais un roman d’apprentiss­age qui l’est aussi pour le père parce que les chapitres, on les a vraiment écrits chacun de notre côté à tour de rôle. »

Aussi doué sur le terrain qu’en classe — en troisième secondaire, sa professeur­e de français lui a dit qu’elle voulait être invitée au lancement de son premier livre, Théo Leblanc a quand même dû se faire prier de temps à autre par son père pour les chapitres suivants.

« C’est ça les avantages et désavantag­es de travailler avec son père, confie l’auteur de 20 ans. La communicat­ion était plus simple de ma chambre à son bureau, mais la discipline avait moins une allure profession­nelle. Après le premier chapitre, on s’est fait un plan pour déterminer où commençait et où finissait chaque chapitre. À mi-parcours, on a eu l’idée de faire comme un entonnoir pour que la fin soit plus active. Il y a plus de suspense dans le match de finale que dans les autres matchs, donc les chapitres sont plus courts. On ne pouvait pas écrire un jeu en trois feuillets et risquer de perdre le lecteur. »

« C’était comme une course à relais, confirme celui qui publiera son sixième livre en septembre (Rétroviseu­r, Boréal). Quand on a présenté le manuscrit chez Hurtubise, Arnaud Foulon et André Gagnon s’attendaien­t à ce que nos voix soient plus différenci­ées entre les chapitres, à ce que la voix de Théo soit plus jeune. J’ai dit à Théo que j’allais prendre ça comme un compliment. Des fois, je lui disais que je n’étais pas sûr de certaines phrases, mais il tenait son bout et il y a de ces phrases qui sont toujours là. »

Scripteurs du réel

Au fil du récit, le père comme le fils font plusieurs références à la guerre, notamment au débarqueme­nt de Normandie, à la défaite de Napoléon à Waterloo et à la guerre de Troie.

« La métaphore guerrière, c’est la

métaphore la plus prisée dans le monde du football, parce que c’est un sport très “contact”, mais c’est sûr qu’on en a mis quand même beaucoup. Au fond, le football est ici une métaphore de la vie. Pour moi, c’est aussi un roman d’amitié. D’ailleurs, je n’ai pas créé de personnage­s avec des qualités et des défauts ; j’ai pris mes amis que j’aimais beaucoup et j’ai eu du fun à les décrire, à parler de leurs qualités. Ça m’a simplifié la tâche pour mon premier roman », explique Théo Leblanc.

Mettant en scène des « bons gars », Premier essai n’en est pas moins peuplé d’ennemis redoutable­s, lesquels retrouvent leur visage humain une fois le match terminé.

« C’est toujours ce qui arrive dans les compétitio­ns. Quand l’autre est différent de nous, on va le détester jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de compétitio­n. Les stéréotype­s de la discrimina­tion, ça part de là. Si j’avais appris à connaître les gars des équipes adverses, il y en a certains que j’aurais préférés à ma propre équipe. J’étudiais déjà en psychologi­e quand j’ai retravaill­é mes chapitres à l’automne et à l’hiver ; je n’ai pas voulu changer mon style d’écriture pour faire jeune, mais il fallait que je me garde une petite gêne pour ne pas trop aller loin là-dedans parce que le narrateur a 16 ans. »

« On peut inventer des personnage­s, mais le réel invente des personnage­s, dit Carl Leblanc. Le réel est un inventeur, se faire scripteur du réel, c’est déjà un beau travail. Il y a beaucoup de prétention à être un deus ex machina, un écrivain qui va inventer tout, mais je trouve qu’il y a une valeur intrinsèqu­e à être juste des scripteurs du réel. Le réel nous a offert une histoire et on a décidé de ne pas la garder pour nous. Maintenant les gens en feront ce qu’ils veulent. »

Dans l’épilogue, situé en 2020, les Leblanc évoquent le début d’une histoire dans laquelle nous sommes encore tous plongés, laquelle a volé aux jeunes des moments précieux, des rites de passage : « Avec mon père, on tenait à cet épilogue-là. J’ai beaucoup emprunté à un texte que j’avais écrit sur la santé mentale des jeunes en temps de pandémie sur le site du collectif Nous, fondé par ma soeur Alice. C’est une belle conclusion au livre, qui nous ramène à la réalité d’aujourd’hui et qui ajoute de la beauté à l’histoire qu’on a vécue. »

Encouragé par sa lecture de Ce qu’on respire sur Tatouine (Del Busso), de Jean-Christophe Réhel, Théo Leblanc affirme vouloir écrire d’autres romans. Toutefois, le prochain sera écrit en solo.

« Je n’aurais jamais pu écrire à l’âge de Théo, j’ai beaucoup d’admiration pour lui. Il y a des gens chez Hurtubise qui souhaitent qu’il continue. André Gagnon a fait une recherche et le seul exemple littéraire d’un roman père-fils qu’il a trouvé, c’est celui de Stephen King et de son fils [Sleeping Beauties, Albin Michel, 2018]. Au Québec, ce serait une première. Je crois que Théo doit voler de ses propres ailes. Je n’exclus pas d’écrire avec lui plus tard, car j’ai aimé ça. Peut-être que je le ferai avec mon petit-fils », conclut Carl Leblanc.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Mettant en scène des « bons gars », Premier essai, de Carl Leblanc et de son fils Théo, n’en est pas moins peuplé d’ennemis redoutable­s, lesquels retrouvent leur visage humain une fois le match terminé.
 ?? ?? Premier essai Carl Leblanc et Théo Leblanc, Hurtubise, Montréal, 2022, 276 pages
Premier essai Carl Leblanc et Théo Leblanc, Hurtubise, Montréal, 2022, 276 pages

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