Lectures pour la fin des classes
Six bourgeons littéraires pour mieux habiter nos vacances
Il y a bien eu quelques jours sombres et froids où la lumière nous a paru plus loin qu’elle ne l’était, mais sa chaleur embrase désormais la province et, avec elle, les êtres qui la peuplent. De retour, les oiseaux sifflent un air de fête, les arbres se reconnaissent par leurs fleurs à la boutonnière et, dans le lointain, on peut presque l’entendre : la cloche de la dernière classe avant les vacances. Afin de mettre la table à un été de lectures, voici quelques titres.
Injustice manifeste
On dit parfois — pour se rassurer peutêtre — qu’il faut beaucoup de temps pour changer les mentalités et, dans l’élan, faire évoluer le monde. Le roman de Catherine Cuenca, Nos corps jugés, nous transporte en 1978, dans le quotidien de Myriam, jeune adulte victime de viol qui, traumatisée, se trouve rejetée par ses parents et sa meilleure amie, incapables de reconnaître le crime dont elle est victime. Isolée, trahie, elle cherche à ravaler son désarroi, jusqu’à se sentir coupable. Le retentissant procès d’Aix, qualifié de « procès du viol » par Gisèle Halimi, lui donnera cependant le courage d’entamer des poursuites judiciaires et, ainsi, de reprendre sa souveraineté.
Roman pédagogique et nécessaire, Nos corps jugés met en lumière le troublant vertige d’une victime de viol et le pénible chemin qu’elle doit emprunter pour obtenir justice. On en ressort ébranlé, habité d’une volonté renouvelée de faire accélérer la marche du monde.
Des tessons de toi sur la route
La narratrice de La pluie des autres, premier recueil jeunesse de la poète Daphné B., ne mène pas une existence tranquille : « un soir, ma mère me frappe // elle appelle ça / perdre patience ». Pourtant, ce n’est pas tant sa propre misère qui la tourmente que celle des autres : « moi dans mon lit je ne suis pas triste / c’est la pluie des autres / qui vient me mouiller ». Profondément habitée par la nécessité d’aider les autres, voire de les sauver, elle développe une amitié complexe avec une voisine, Alejandra, atteinte d’un trouble alimentaire qui l’efface peu à peu du monde. Leur relation se nourrit de moments précieux, mais comment ne pas céder au vertige, quand la mort rôde : « peut-être que l’amour c’est faire attention / aux choses qui se brisent / en ratant toujours un peu son coup ». Une langue déliée, truffée d’images percutantes et magnifiques, qui nous permet de considérer les frontières poreuses de l’amour, du mal-être et du soin. Vibrant.
Stephen King en voiture
Une morne banlieue américaine. Un préadolescent en quête d’histoires à raconter. Mais surtout : une autoroute, sur laquelle se trouve une halte routière abandonnée, et une voiture, couverte de boue, qui semble en
détresse. La mise en place de Mile 81, roman de Stephen King récemment traduit en France, ne manque pas sa cible. Contre l’indifférence générale se distinguent quelques bonnes âmes qui bifurquent de leur parcours pour venir prêter secours au mystérieux conducteur du bolide souillé. Et, ainsi, une voiture à la fois, la tension croît et le grand rêve américain perd de son lustre. Avec ce court roman, Stephen King exploite quelques-unes des valeurs chères au grand mythe étatsunien — la liberté, la religion et l’automobile —, distillant un peu d’inquiétante étrangeté pour y foutre le bazar. La mécanique du récit se répète un peu, mais on ne s’ennuie pas.