L’agriculture régénératrice, un autre avenir possible ?
Dans Humus, la documentariste Carole Poliquin braque les projecteurs sur un couple de maraîchers qui porte à bout de bras ce modèle alternatif
Pour en finir avec la monoculture et ses impacts ravageurs sur les terres arables, de plus en plus de producteurs se tournent vers l’agriculture régénératrice, un mode d’exploitation qui place le respect de la biodiversité des sols au-dessus de la rentabilité. Dans Humus, la réalisatrice engagée Carole Poliquin braque sa caméra sur un couple de maraîchers de la Montérégie qui s’est engagé sur la voie de la « régénérescence ». Un parcours semé d’embûches, toutefois, découvre-t-on tout au long de ce documentaire.
Pendant deux ans, Humus suit François D’Aoust et Mélina Plante, deux néoruraux qui ont tout plaqué en ville pour s’installer à Havelock, près de la frontière américaine. Inspiré par le rapport qu’entretenaient les Autochtones avec la nature avant la colonisation, le couple adhère aux préceptes de l’agriculture régénératrice, qui gagne en popularité à l’ère des changements climatiques.
Aucune monoculture ne pousse donc sur la ferme des D’Aoust-Plante, où l’on tente de préserver le plus possible l’équilibre naturel entre les différentes espèces. La terre n’est pas labourée non plus, toujours en suivant cette idée que tout est interrelié et que de cette mixité des espèces émaneront différentes cultures viables.
« En étant labouré par les vers de terre et les bibittes, le sol se draine mieux qu’en étant labouré à la machine. L’eau se rend dans les nappes phréatiques. En ce moment, à Sutton, il y a des problèmes d’eau parce que l’eau ruisselle et ne s’imprègne pas dans la terre. Elle reste en surface jusqu’à ce qu’elle soit évaporée. Or, l’eau peut aussi être un gaz à effet de serre », explique en entrevue au Devoir Carole Poliquin, qui a consacré plusieurs années de recherche à l’agriculture régénératrice avant d’accoucher de ce film.
La documentariste défend mordicus cette approche et porte une sincère admiration pour ses protagonistes. Elle espère que Humus suscitera une réflexion dans la population, mais surtout chez les agriculteurs. Carole Poliquin affirme en avoir contre le modèle productiviste de l’Union des producteurs agricoles, qui mène les agriculteurs à leur propre perte. Selon elle, la rentabilité n’est qu’illusoire.
« C’est rentable pour combien de temps, ce modèle-là ? Il faut déconstruire une vision du monde dans laquelle on n’a aucune responsabilité pour le vivant, où on n’a que des droits. La décroissance va venir d’ellemême. Soit on la choisit maintenant, soit on va la subir avec la récession qui s’en vient. Car il se trouve que j’ai beaucoup lu, durant la préparation de ce film, sur l’effondrement des civilisations dans l’histoire. Chaque fois, les savoirs étaient là pour éviter ce qui s’est passé, mais on ne se donnait pas les moyens pour changer les choses. Comme aujourd’hui », s’indigne la réalisatrice, qui a maintes fois traité des enjeux liés à l’identité, à l’injustice et à la mondialisation dans ses derniers films.
La dure vie à la ferme
Cette fois, elle ne porte pas une charge aussi politique. Humus — signifiant terre, en latin — reste un documentaire plus personnel, qui se cantonne essentiellement autour de la conviction de François D’Aoust et de Mélina Plante. Au-delà de la question environnementale, le film de Carole Poliquin permet une rare incursion dans la réalité des agriculteurs, trop souvent occultée dans les grands médias québécois, selon la réalisatrice.
Qu’ils adhèrent à l’agriculture conventionnelle, au bio ou à l’agriculture régénératrice, les producteurs sont confrontés aux mêmes problèmes. À commencer par le début des changements climatiques, qui s’accompagnent de périodes de sécheresse plus intenses en été et de gels au sol devancés. Mais aussi la solitude, les problèmes financiers, les aléas de la météo, la pénurie de main-d’oeuvre, la pandémie…
La vie des D’Aoust-Plante n’a rien à voir avec l’idée romantique que peuvent se faire certains urbains du retour à la terre. Car eux aussi doivent piler sur leurs convictions pour engager des travailleurs guatémaltèques. Eux aussi sont parfois pris de désespoir et ont envie de tout abandonner. Mais ce n’est pas ce que Carole Poliquin souhaite qu’on retienne de son film, qui se veut optimiste ; pas fataliste et encore moins misérabiliste.
« Je voulais faire un film où il y avait de l’espoir. Ce n’est pas un espoir naïf. L’idée, ce n’est pas de dire qu’on peut changer le monde. Je pense que ça va aller très mal avant d’aller mieux. La planète est finie. L’utopie, c’est de penser qu’on peut continuer de consommer comme en ce moment. Mais pour inverser le cours des choses, je crois que l’agriculture, ce serait un bon début ; c’est la base de tout », laisse tomber la réalisatrice en guise de réflexion.