Un homme à la mer
Le film Les intranquilles offre un portrait juste et poignant d’un homme atteint de troubles bipolaires
Vient d’abord le bruit des vagues, puis apparaît cette image qui pourrait difficilement être plus paisible : celle d’une jeune femme assoupie sur la plage. Bientôt toutefois, des notes de piano empreintes de tristesse font planer un doute quant à la teneur réelle du moment. Puis, la quiétude apparente est irrémédiablement contredite par l’apparition du titre : Les intranquilles. De fait, à ce plan fixe, calme, succèdent des plans agités d’un homme et d’un enfant s’ébattant dans la mer. Après avoir foncé vers le large en bateau, voici que le père saute et annonce au petit qu’il rentre à la nage. Si le cinéphile est stupéfait, le gamin, lui, ne semble pas l’être le moins du monde.
Écrit et réalisé par Joachim Lafosse, qui s’est en partie inspiré de ses propres souvenirs d’enfance, Les intranquilles conte l’éclatement lent, mais inéluctable, d’un couple dont le conjoint atteint de troubles bipolaires refuse de suivre le traitement que requiert sa condition. Il s’appelle Damien et est un peintre coté (en témoigne une vaste propriété avec piscine sise non loin de la mer déjà mentionnée).
Lorsqu’on fait sa connaissance, un épisode maniaque couve, mais n’a pas encore tout à fait cours. Jamais loin, Leïla, l’épouse de Damien, qui retape de vieux meubles, veille au grain. Elle s’inquiète de constater que son mari ne dort plus. Elle devine avant qu’il le lui admette qu’il a cessé de prendre ses médicaments.
Au fil des conversations, on finit par comprendre que Damien a récemment fait un séjour en clinique psychiatrique lors d’un épisode de dépression suivant une période maniaque précipitée, là encore, par un abandon de traitement.
En plein élan créatif (il a promis des dizaines de tableaux à son agent), Damien est convaincu de bien se porter.
Interprétations remarquables
Hors de son atelier, Damien, tantôt exalté, tantôt chicanier, a une humeur de plus en plus imprévisible. Le portrait est d’une grande justesse, et l’acteur Damien Bonnard (Les misérables) est absolument brillant dans le rôle. Le comédien laisse voir, sans jamais forcer la note, un décalage croissant entre la réalité et la perception que s’en fait le personnage.
Impartie de la partition en apparence peut-être plus ingrate de cette femme lasse de mettre sa vie en veilleuse pour, comme elle le dit à un moment, être l’infirmière de son mari, Leïla Bekhti (Le grand bain) est formidable également. De plus en plus épuisé, son personnage doit par surcroît veiller sur leur jeune fils, Amine, que Damien met parfois en danger, mais qui se défoule sur sa mère, seule figure d’une nécessaire autorité.
Porté par ces interprétations remarquables, mais jamais tape-à-l’oeil, Les intranquilles bénéficie en outre d’une mise en scène intelligente de Joachim Lafosse. En phase avec le sujet, sa caméra se dépose rarement, nerveuse, aux aguets, captant ici, en gros plan, un regard halluciné, là, en plan d’ensemble, des corps éloignés, mais tendus juste avant un affrontement. Et il y a ces retours ponctuels à la mer, qui résume si bien l’état de Damien, avec son flux et son reflux, de marées hautes en marées basses…
OEuvre honnête et sensible, Les intranquilles ne laisse pas indemne.
Les intranquilles ★★★★
Drame psychologique de Joachim Lafosse. Avec Damien Bonnard, Leïla Bekhti, Gabriel Merz Chammah. France– Belgique, 2021, 119 minutes. En salle.