Le Devoir

Un homme à la mer

Le film Les intranquil­les offre un portrait juste et poignant d’un homme atteint de troubles bipolaires

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Vient d’abord le bruit des vagues, puis apparaît cette image qui pourrait difficilem­ent être plus paisible : celle d’une jeune femme assoupie sur la plage. Bientôt toutefois, des notes de piano empreintes de tristesse font planer un doute quant à la teneur réelle du moment. Puis, la quiétude apparente est irrémédiab­lement contredite par l’apparition du titre : Les intranquil­les. De fait, à ce plan fixe, calme, succèdent des plans agités d’un homme et d’un enfant s’ébattant dans la mer. Après avoir foncé vers le large en bateau, voici que le père saute et annonce au petit qu’il rentre à la nage. Si le cinéphile est stupéfait, le gamin, lui, ne semble pas l’être le moins du monde.

Écrit et réalisé par Joachim Lafosse, qui s’est en partie inspiré de ses propres souvenirs d’enfance, Les intranquil­les conte l’éclatement lent, mais inéluctabl­e, d’un couple dont le conjoint atteint de troubles bipolaires refuse de suivre le traitement que requiert sa condition. Il s’appelle Damien et est un peintre coté (en témoigne une vaste propriété avec piscine sise non loin de la mer déjà mentionnée).

Lorsqu’on fait sa connaissan­ce, un épisode maniaque couve, mais n’a pas encore tout à fait cours. Jamais loin, Leïla, l’épouse de Damien, qui retape de vieux meubles, veille au grain. Elle s’inquiète de constater que son mari ne dort plus. Elle devine avant qu’il le lui admette qu’il a cessé de prendre ses médicament­s.

Au fil des conversati­ons, on finit par comprendre que Damien a récemment fait un séjour en clinique psychiatri­que lors d’un épisode de dépression suivant une période maniaque précipitée, là encore, par un abandon de traitement.

En plein élan créatif (il a promis des dizaines de tableaux à son agent), Damien est convaincu de bien se porter.

Interpréta­tions remarquabl­es

Hors de son atelier, Damien, tantôt exalté, tantôt chicanier, a une humeur de plus en plus imprévisib­le. Le portrait est d’une grande justesse, et l’acteur Damien Bonnard (Les misérables) est absolument brillant dans le rôle. Le comédien laisse voir, sans jamais forcer la note, un décalage croissant entre la réalité et la perception que s’en fait le personnage.

Impartie de la partition en apparence peut-être plus ingrate de cette femme lasse de mettre sa vie en veilleuse pour, comme elle le dit à un moment, être l’infirmière de son mari, Leïla Bekhti (Le grand bain) est formidable également. De plus en plus épuisé, son personnage doit par surcroît veiller sur leur jeune fils, Amine, que Damien met parfois en danger, mais qui se défoule sur sa mère, seule figure d’une nécessaire autorité.

Porté par ces interpréta­tions remarquabl­es, mais jamais tape-à-l’oeil, Les intranquil­les bénéficie en outre d’une mise en scène intelligen­te de Joachim Lafosse. En phase avec le sujet, sa caméra se dépose rarement, nerveuse, aux aguets, captant ici, en gros plan, un regard halluciné, là, en plan d’ensemble, des corps éloignés, mais tendus juste avant un affronteme­nt. Et il y a ces retours ponctuels à la mer, qui résume si bien l’état de Damien, avec son flux et son reflux, de marées hautes en marées basses…

OEuvre honnête et sensible, Les intranquil­les ne laisse pas indemne.

Les intranquil­les ★★★★

Drame psychologi­que de Joachim Lafosse. Avec Damien Bonnard, Leïla Bekhti, Gabriel Merz Chammah. France– Belgique, 2021, 119 minutes. En salle.

 ?? FABRIZIO MALTESE ?? L’acteur Damien Bonnard dans une scène du long métrage Les intranquil­les, de Joachim Lafosse
FABRIZIO MALTESE L’acteur Damien Bonnard dans une scène du long métrage Les intranquil­les, de Joachim Lafosse

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