Le Devoir

Planifier le vélo à Montréal pour les dix prochaines années

- Geoffrey Dirat Collaborat­ion spéciale, Unpointcin­q.ca

Le gouverneme­nt du Québec mise sur l’électrific­ation des transports individuel­s et collectifs pour réduire les gaz à effet de serre. Par ricochet, les villes aussi, mais elles disposent d’une autre corde à leur arc pour promouvoir la mobilité durable : l’adaptation de leurs réseaux routiers à la pratique du vélo. Une mission à laquelle s’attaque l’ingénieur du Service de l’urbanisme et de la mobilité de la Ville de Montréal, Julien Paquette-Verdi.

Adolescent, Julien Paquette-Verdi passait sa vie à vélo dans le quartier Rosemont, où il a grandi, et aux alentours. « C’était mon mode de transport naturel, plus rapide et plus économique que l’autobus. J’étais plus indépendan­t aussi », se souvient le trentenair­e. À 16 ans, comme bien des jeunes en quête de liberté, il obtient son permis de conduire, adopte la voiture et « abandonne un peu, beaucoup le “bicycle” », avoue-t-il, en faisant aujourd’hui son mea-culpa. Par commodité, il recommence à pédaler pour aller à l’université, mais c’est vers la mi-vingtaine, durant son baccalauré­at en génie civil option transport à Polytechni­que Montréal, qu’il a un déclic.

« J’ai pris conscience à ce momentlà des impacts environnem­entaux de nos transports, et ça m’a encouragé à faire le saut de citoyen passif à militant. Durant mes deux dernières années d’études, je me suis spécialisé en mobilité durable dans le but d’embarquer le monde », indique le cycliste patenté, dont le métier consiste désormais à faciliter le quotidien des pédaleurs. Après quatre années à travailler en ce sens pour des firmes de génie-conseil, il est employé, depuis janvier dernier, par la Ville de Montréal comme ingénieur en planificat­ion de la mobilité à vélo.

Sa mission est claire : prévoir et concevoir les infrastruc­tures qui favorisero­nt les déplacemen­ts à vélo durant la prochaine décennie afin qu’ils représente­nt 15 % de déplacemen­ts utilitaire­s dans l’agglomérat­ion montréalai­se d’ici 2030.

Cet objectif visé par l’administra­tion de Valérie Plante est encore loin d’être atteint : ce taux était de 3,3 % il y a deux ans, selon l’État du vélo à Montréal en 2020, publié par Vélo Québec, avec des pics dans les quartiers centraux du Plateau Mont-Royal (13,1 %), d’Hochelaga-Maisonneuv­e (8,7 %), de Villeray (7 %) et de Rosemont (5,8 %).

Julien Paquette-Verdi n’en demeure pas moins optimiste. « Le potentiel de changement est là. Montréal n’est pas Amsterdam en matière de culture vélo, mais les mentalités évoluent rapidement, et la cohabitati­on entre automobili­stes et cyclistes est bien meilleure qu’avant. Sur le plan de l’urbanisme, on a également une densité intéressan­te pour que le vélo devienne une option à part entière. »

Selon l’enquête origine-destinatio­n menée en 2018 par la Chaire mobilité de Polytechni­que Montréal, de 18 à 25 % des déplacemen­ts motorisés pourraient se faire à vélo sur l’île. Quant au recensemen­t de 2016, il a permis à Statistiqu­e Canada de calculer qu’environ 33 % des Montréalai­s habitent à moins de 5 km de leur lieu de travail, une distance qui prend environ 20 minutes à parcourir à la force des mollets.

Plus de pistes cyclables, plus de cyclistes

À l’heure actuelle, 1,1 million des 2 millions des habitants de l’île se déclarent cyclistes, d’après Vél0 Québec. Parmi eux, environ 740 000 disent faire un usage utilitaire du vélo, la moitié de ces derniers s’en servant comme mode de transport au moins une fois par semaine. Pour que ces chiffres augmentent, les sondages sont unanimes : les gens pédaleraie­nt davantage et plus régulièrem­ent si le réseau cyclable était plus sécuritair­e, plus développé et moins discontinu.

Ces intentions se vérifient dans les faits, comme en témoignent les succès de fréquentat­ion du nouveau Réseau express vélo (REV) de la rue Saint-Denis, qui fait plus de 8,7 km de long, et de la piste cyclable de la rue Rachel, sur laquelle sont effectués, bon an mal an, plus d’un million de déplacemen­ts. Tous deux sont physiqueme­nt séparés de la circulatio­n automobile.

« Ce n’est pas le seul, mais l’aménagemen­t de nouvelles pistes cyclables reste notre principal levier. On répond ainsi à un besoin et on crée une demande induite », confirme l’ingénieur, dont le rôle consiste à recenser les trajets à prioriser en croisant des données techniques et sociodémog­raphiques et en effectuant des comptages in situ. « L’objectif est de trouver les projets plus payants en matière de report modal de l’auto vers le vélo. »

Ensuite vient la phase de conception, en collaborat­ion avec ses collègues des transports routier et collectif. Et c’est là que ça se corse. Car pour faire de la place au vélo, « on va toujours sacrifier un peu de l’immense espace alloué à la voiture », convient Julien Paquette-Verdi.

« La difficulté, c’est de convaincre les citoyens en dépassant leurs blocages émotionnel­s. On travaille fort en amont d’un projet pour documenter ses impacts et ses bénéfices afin de leur présenter les faits, leur expliquer où sont les compromis acceptable­s et en leur montrant que cela peut marcher à l’aide d’exemples concrets », souligne-t-il, en ajoutant que la concertati­on est indispensa­ble à la réussite d’un réaménagem­ent de la voie publique en faveur du vélo. « Si on veut que les gens embarquent, il faut que tout le monde soit convaincu ! »

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Photonfour­nie Selon Julien Paquette-Verdi, l’aménagemen­t de nouvelles pistes cyclables reste le principal levier pour convaincre les Montréalai­s d’adopter le vélo.

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