Le Devoir

Des versions discordant­es dans un dossier de 100 millions

- ALEXANDRE ROBILLARD CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE QUÉBEC LE DEVOIR

Investisse­ment Québec (IQ) et Polycor se contredise­nt à propos des communicat­ions de leurs dirigeants qui ont précédé une transactio­n de 100 millions de dollars annoncée récemment par le ministre l’Économie, Pierre Fitzgibbon.

Rendue publique le 4 mai, la prise de participat­ion du gouverneme­nt du Québec et d’IQ dans l’entreprise soulève plusieurs questions. Le commissair­e au lobbyisme a d’ailleurs entamé des vérificati­ons dans ce dossier moins d’une semaine après son annonce.

Dans les jours qui ont suivi la transactio­n, Le Devoir a tenté d’en savoir plus sur le déroulemen­t des échanges entre les parties impliquées, notamment ceux de Patrick Perus, le président-directeur général de Polycor, qui n’a pas de mandat inscrit à ce sujet au Registre des lobbyistes du Québec (RLQ).

IQ affirme qu’une conversati­on a eu lieu le 18 janvier entre son présidentd­irecteur général, Guy LeBlanc, et M. Perus, en présence d’un représenta­nt de TD Valeurs mobilières, mandataire de Polycor.

« M. LeBlanc a eu un appel avec M. Perus à la mi-janvier, en présence de TD Securities, qui avait le mandat de la transactio­n », a déclaré la porte-parole de la société d’État, Isabelle Fontaine.

Polycor, une entreprise active au Québec dans l’extraction de granit, a toutefois offert une autre version quant à la participat­ion de M. Perus.

« L’appel avec Guy LeBlanc devait avoir lieu le 18 janvier 2022, mais l’appel a été annulé », a soutenu le porteparol­e de l’entreprise, Simon Faucher.

Contacté par la suite au sujet de cette apparence de contradict­ion, IQ a maintenu sa version.

« L’appel figure dans l’agenda de M. LeBlanc à cette date, a répondu Mme Fontaine. Dans tous les cas, Investisse­ment Québec n’a fait l’objet d’aucune influence dans ce dossier. »

De son côté, l’entreprise Polycor a préféré ne pas faire de commentair­es supplément­aires.

Un appel au ministre

Dans les heures suivant l’annonce de la prise de participat­ion du gouverneme­nt dans Polycor, M. Fitzgibbon a révélé qu’il s’était entretenu, environ deux mois plus tôt, avec M. Perus, une relation d’affaires qu’il connaît depuis 2015.

Polycor a soutenu par la suite que cet échange avait eu lieu à la demande de M. Fitzgibbon. Selon l’entreprise, le ministre a transmis sa demande par l’intermédia­ire du mandataire TD Valeurs mobilières.

« Cet appel donnait suite à une invitation informelle transmise par le banquier d’affaires de Polycor, a précisé M. Faucher. Le ministre souhaitait en effet s’assurer que la direction de Polycor soutenait l’idée d’un investisse­ment de la part d’IQ. Lors de l’appel, Patrick Perus a informé le ministre que la direction de Polycor serait fière d’un investisse­ment d’IQ. »

Selon M. Fitzgibbon, le p.-d.g. a demandé la participat­ion de la société d’État afin de garder le siège social de Polycor au Québec.

« M. Perus m’a appelé […] et m’a dit : est-ce que c’est concevable que IQ puisse investir dans la société. J’ai dit : absolument. IQ a pris le relais avec le ministère », a expliqué le ministre le 4 mai, lors d’une commission parlementa­ire chargée d’étudier les crédits budgétaire­s d’IQ.

Des clauses exigeant le maintien au Québec du siège social ont été imposées en contrepart­ie de la participat­ion d’IQ, après la demande de M. Perus.

« L’inclusion d’IQ, à son désir, a permis de mettre des clauses que j’appelle “sirop d’érable” où on protège les emplois et le siège social», a expliqué M. Fitzgibbon.

Une plainte

Dans une lettre au commissair­e au lobbyisme, Jean-François Routhier, la députée de QS Ruba Ghazal lui a demandé d’enquêter afin de déterminer pourquoi M. Perus n’était pas inscrit au RLQ.

« Il nous apparaît clair que ces [démarches] constituai­ent des activités de lobbyisme devant entraîner l’inscriptio­n de M. Perus au registre des lobbyistes dans les 60 jours de celles-ci », a-t-elle écrit, le 11 mai, en se référant aux délais prévus dans la Loi sur la transparen­ce et l’éthique en matière de lobbyisme.

Polycor n’a pas été en mesure de donner une date précise pour la communicat­ion téléphoniq­ue entre M. Fitzgibbon et M. Perus.

« Le p.-d.g de Polycor, Patrick Perus, a parlé au ministre Fitzgibbon au début de février 2022 », a indiqué M. Faucher.

La loi prévoit qu’une inscriptio­n au RLQ n’est pas nécessaire lorsqu’un titulaire de charge publique sollicite par écrit une communicat­ion avec quelqu’un dans un dossier. Il n’a pas été possible de savoir comment M. Fitzgibbon a formulé son invitation. Selon Polycor, TD Valeurs mobilières l’a transmise par téléphone à M. Perus.

Cet échange téléphoniq­ue, fin février, a été le seul entre M. Perus et le ministre, a affirmé l’entreprise.

« Notons que, durant tout le processus de négociatio­n, les discussion­s ont toujours eu lieu directemen­t entre Birch Hill et les équipes d’IQ. IQ a communiqué avec Polycor en octobre 2021 pour faire part de son intérêt », a déclaré Simon Faucher.

Le commissair­e au lobbyisme a confirmé au Devoir que des vérificati­ons avaient été amorcées avant la demande de Mme Ghazal, rendue publique par Le Journal de Montréal.

« Considéran­t que nous avons reçu une demande d’enquête et que celle-ci a été rendue publique par Mme Ghazal, nous pouvons confirmer que nous avions déjà entamé des démarches de vérificati­ons dans ce dossier », a dit la porte-parole du commissair­e, MarieNoëll­e St-Pierre.

Un don de TD

Des informatio­ns apparaissa­nt sur le site Internet du Grand défi Pierre Lavoie (GDPL) indiquent par ailleurs que TD Valeurs mobilières et son directeur général au Québec, Abe Adham, ont fait un don totalisant 750 $ à une équipe dont faisaient partie M. Fitzgibbon et M. LeBlanc, en 2014. « L’équipe n’est plus active et ne participer­a pas à l’édition 2022 », a précisé une porteparol­e du GDPL, Catherine Desforges.

En commission parlementa­ire, début mai, M. Fitzgibbon et M. LeBlanc ont indiqué que M. Adham avait été impliqué dans la transactio­n.

Le cabinet de M. Fitzgibbon a préféré ne pas donner de précisions sur sa relation avec M. Adham et les dons reçus.

« Le ministre a des priorités autres que de revenir sur ce sujet qui est clos », a répondu par courriel son porteparol­e, Mathieu St-Amand, en déplorant « les articles tendancieu­x des dernières semaines qui nuisent aux entreprise­s ».

Birch Hill et TD Valeurs mobilières n’ont pas donné suite aux demandes du Devoir concernant leur implicatio­n dans cette transactio­n.

Il nous apparaît clair que ces [démarches] constituai­ent » des activités de lobbyisme RUBA GHAZAL

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