Le Devoir

Retrouver les victimes, une à la fois

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L’action collective autorisée par la Cour supérieure contre le diocèse de Québec marque un pas important dans la route des victimes d’agressions sexuelles commises par des prêtres pédophiles : cette action autorisée la semaine dernière par le juge Bernard Godbout pourrait regrouper un nombre de victimes inégalé. Le mur du silence érigé pendant des décennies par les autorités ecclésiast­iques continue de s’affaisser. C’est le courage de Gaétan Bégin et de Pierre Bolduc, les deux demandeurs dans cette affaire, qui est à l’origine de cette action collective menée par les avocats Alain Arsenault et Marc Bellemare. L’action est extraordin­aire en ce sens qu’elle englobe toute agression sexuelle commise par un membre du clergé ou du personnel laïque du diocèse de Québec de 1940 à aujourd’hui. Le territoire visé est vaste : en dehors de Québec, il englobe Chaudière-Appalaches, la Beauce et Charlevoix. En 1960, le diocèse de Québec comptait 230 paroisses et plus de 1000 prêtres.

Les avocats calculent donc que cette action pourrait être d’une ampleur inédite : s’appuyant sur une évaluation estimant à 10 % le pourcentag­e de prêtres abuseurs et sur le fait que chaque prêtre agresseur aurait fait plusieurs victimes, ils avancent que des centaines de plaignants pourraient vouloir s’inscrire à cette action, la première du genre. Environ 90 personnes sont déjà sorties de l’ombre.

Gaétan Bégin et Pierre Bolduc ont subi les agressions du curé de leur paroisse, l’un en Beauce, l’autre près de Thetford Mines, alors qu’ils avaient entre 12 et 17 ans. Leur récit est unique, car il a entraîné pour chacun d’eux des répercussi­ons négatives d’importance dans le fil de leur vie d’adulte. Mais la trame de leur histoire est hélas commune à des tonnes d’autres : agressions répétées dans le sanctuaire violé de la sacristie ; dans l’auto du curé ; à son chalet ou à son domicile. Le père de l’un des deux hommes avait dénoncé à l’époque l’agression subie par son fils. Tout au plus le curé violeur a-t-il été « mis au repos » pendant quelques semaines.

Ce dernier pan de l’histoire n’est pas anodin : il renvoie à une portion capitale de l’action collective, qui vise le silence et l’aveuglemen­t qu’auraient pratiqués les autorités religieuse­s, violant ainsi leurs devoirs d’employeur et de protecteur des enfants. Au cours des dernières années, et ce, partout à travers le monde, plusieurs scandales sexuels visant des membres du clergé ont permis de mettre en lumière un double scandale : non seulement les agressions commises contre les enfants, mais aussi le réflexe inné de plusieurs congrégati­ons de protéger les agresseurs plutôt que les enfants, pourtant ultra-vulnérable­s.

Car c’est un véritable mur du silence qui s’est érigé jadis autour des victimes, et on peine à le fissurer : le silence des victimes au moment des crimes, le silence de l’Église qui, même informée, n’a pas su réagir avec la bienveilla­nce que commandait son rang ; et le silence du Vatican et de l’épiscopat, qui longtemps ont combattu avec une vigoureuse résistance la moindre évocation d’agressions sexuelles commises par le clergé. Ils trônaient pourtant au sommet d’un des plus vastes scandales sexuels de l’ère contempora­ine. Cette constructi­on immonde s’effrite peu à peu, au gré de ces multiples actions autorisées par la Cour. Celle visant le diocèse de Québec pourrait être d’une ampleur inégalée. Six autres diocèses québécois sont visés par de possibles actions collective­s.

Ces actions en justice sont possibles, car, en 2020, le gouverneme­nt du Québec, sous l’impulsion de la CAQ, a changé le Code civil du Québec et aboli le délai de prescripti­on qui empêchait les victimes, passé un certain délai, de retourner aux sources du drame qui empoisonna­it leur vie. Cette barrière, véritable prison temporelle pour les victimes, mais solide refuge pour des centaines de violeurs, est tombée, Dieu merci.

D’aucuns verront peut-être d’un autre regard la venue du pape François à Québec, prévue en juillet prochain. Cette visite s’inscrit dans une démarche de réconcilia­tion avec les peuples autochtone­s, dont les membres ont subi de multiples sévices dans l’opération d’assimilati­on des Premières Nations orchestrée par les autorités religieuse­s et le gouverneme­nt canadien. La liste des victimes espérant un geste de contrition de la part du pontife ne cesse de s’allonger.

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