Le Devoir

Quoi de neuf à BAnQ ?

Malgré l’arrivée de Marie Grégoire, l’institutio­n ne bénéficier­a pas de l’améliorati­on pourtant annoncée de sa situation budgétaire

- Carol Couture

Archiviste, ancien directeur de l’École de bibliothéc­onomie et des sciences de l’informatio­n de l’Université de Montréal (2001-2005), conservate­ur et directeur général des archives à Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec (2006-2012)

Sans doute le lecteur a-t-il un souvenir plus ou moins précis des propos que nous tenions avec d’autres collègues au moment de la nomination surprise de la présidente-directrice générale de Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec (BAnQ) à l’été 2021. Nous avions alors émis de sérieux doutes quant à la conformité de cette nomination, faite de façon à forcer la main du conseil d’administra­tion de BAnQ, dont les membres n’avaient pas été informés de la modificati­on du profil de compétence­s qu’ils avaient la charge formelle de définir.

Nos renseignem­ents ont été confirmés tout récemment dans un article du journalist­e Alexandre Robillard dans Le Devoir du 28 avril. La ministre confirme que les exigences du poste ont été abaissées par une interventi­on de l’État, se défend d’avoir proposé ellemême cette dévaluatio­n du poste et en attribue la décision au Secrétaria­t aux emplois supérieurs, dont on sait qu’il relève du bureau du premier ministre. On ne pouvait mieux souligner le caractère politique de cette nomination. Bien de l’eau avait coulé sous les ponts, le tour de passe-passe avait été oublié, il nous est désormais rappelé. Et Marie Grégoire, la nouvelle p.-d.g., est bien en selle.

Le temps a aussi fait son oeuvre en ce qui nous concerne. Après quelques secousses d’indignatio­n, quelques demandes journalist­iques d’accès à l’informatio­n, que les directions du ministère de la Culture et de BAnQ ont rejetées en bloc, nous laissions aller. Nous en sommes maintenant à nous demander si la personne nommée, dont on disait qu’elle aurait au moins ses entrées privilégié­es auprès des décideurs, pourra aller chercher les ressources supplément­aires pour permettre un développem­ent accéléré de BAnQ qui soit à la hauteur de ce qu’on nous promettait.

Certains étaient convaincus que cette nomination hors norme forcerait le gouverneme­nt à fournir les ressources nécessaire­s pour calmer les sérieux doutes soulevés par la communauté. Il paraissait donc plus sage d’attendre et de voir si des crédits budgétaire­s sensibleme­nt augmentés seraient au rendezvous au printemps 2022. Nous y voilà ! Et les chiffres, qui ne peuvent se cacher derrière une langue de bois, parlent d’eux-mêmes.

Penser bleu

La réponse se trouve dans les pages 72, 81 et 83 du document d’accompagne­ment du budget 2022-2023 du gouverneme­nt du Québec intitulé Budget des dépenses publié par le Secrétaria­t du Conseil du trésor le jour même du dévoilemen­t du budget. En gros, la subvention gouverneme­ntale pour BAnQ en 2022-2023 est de 77 millions de dollars (tout juste une indexation à l’inflation, car elle était de 75,4 millions en 2021-2022). Le document indique clairement que la subvention pour ces deux années est « de niveau comparable », disons donc stagnante. Les apports d’autres sources (Montréal par exemple) font monter le budget à 95,7 millions, mais les dépenses prévues sont toutefois de 101,4 millions, un écart que le gouverneme­nt voudra certaineme­nt corriger un jour.

Ce déficit semble autorisé (voir page 83 du document mentionné précédemme­nt) en raison de la hausse générale des rémunérati­ons dans le secteur public et des sommes consacrées au passage à l’infonuagiq­ue, une opération largement technique qui devient le seul projet d’expansion comme nous l’avions craint. Il est aussi question d’une somme de 13,7 millions en investisse­ment, et il s’agit probableme­nt du maintien des actifs pour l’ensemble des édifices de BAnQ. En somme, aucun développem­ent réel, aucune augmentati­on de ressources.

D’ailleurs, en culture, les quatre cinquièmes des investisse­ments importants concernent les « espaces bleus », ces nouveaux bâtiments dont la mission est d’exalter la fierté culturelle des Québécois, sous toutes les formes possibles. Cela se voit dans le Plan québécois d’infrastruc­tures (PQI), contenu aussi au Budget des dépenses. Sans doute a-t-on demandé à BAnQ de contribuer à cette mission chère au gouverneme­nt actuel.

Cela explique peut-être que le dernier numéro de sa revue À rayons ouverts, accompagné d’un feuillet, nous informe du passage à une publicatio­n annuelle plutôt que trimestrie­lle (bonne économie !) et d’une volonté de faire de ce numéro unique un endroit où se familiaris­er avec des personnage­s ou des lieux qui ont contribué à ce que nous sommes devenus.

Autrement dit, les textes qui portaient sur les travaux mêmes que mène BAnQ (le plus souvent liés aux missions de conservati­on) ne seront plus la matière première, on pensera plutôt bleu. On peut s’en désoler sans toutefois s’en étonner !

Plus une locomotive

Nous en sommes maintenant à nous demander si la personne nommée pourra aller chercher les ressources supplément­aires pour permettre un développem­ent accéléré de BAnQ qui soit à la hauteur de ce qu’on nous promettait, écrit l’auteur du texte.

Et de toute façon, tout cela est-il si inattendu ? Après tout ce qu’on constate du laisser-aller, voire du détachemen­t du ministère de la Culture envers le patrimoine : maison Chevalier dans le Vieux-Québec (au fait, où en est-on dans ce dossier ?), démolition sauvage du Domaine-de-l’Estérel à SainteMarg­uerite-du-Lac-Masson, le cas désolant de l’église Saint-Louis-de-France à Québec, l’autre du campus des Soeurs de la congrégati­on de NotreDame-du-Perpétuel-Secours établi dans le beau village de Saint-Damiende-Buckland, la décomposit­ion sous nos yeux du bâtiment historique de la bibliothèq­ue Saint-Sulpice, rue SaintDenis, et combien d’autres endroits disparus ou laissés dans l’oubli.

Est-il si anormal désormais que, pour BAnQ comme pour bien d’autres institutio­ns, le Québec soit si mal emmanché pour répondre intelligem­ment à son si cher « Je me souviens » ?

Avions-nous raison de douter du fait que BAnQ réussirait à tirer son épingle du jeu et à aller chercher les sommes indispensa­bles pour assumer son mandat de diffusion et de conservati­on du savoir et de la connaissan­ce sous toutes ses formes ? Comme nous l’affirmions le 11 décembre dernier dans un texte publié dans Le Devoir, au centième jour de l’entrée en poste de l’actuelle p.-d.g. Dommage quand même de constater qu’au final, BAnQ ne bénéficier­a pas de l’améliorati­on pourtant annoncée de sa situation budgétaire et du renouvelle­ment de ses ressources.

Décidément, dans le domaine culturel québécois, BAnQ ne sera plus la locomotive qu’elle était devenue. Malheureus­ement, si l’on se fie aux ressources dont dispose BAnQ pour l’année 2022, notre constat du 11 décembre est toujours d’actualité.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR

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