Le Devoir

Près de 110 000 rendez-vous manqués

Le problème des patients qui posent un lapin à leur médecin est enfin quantifiab­le au Québec

- MARIE-EVE COUSINEAU

Les médecins de famille le déplorent depuis des années : des patients ne se présentent pas à leur rendez-vous médical et ne prennent pas la peine de l’annuler. Le phénomène est maintenant quantifiab­le : près de 110 000

no-show ont été signalés par des omnipratic­iens à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) depuis avril 2021.

Le chiffre frappe l’imaginaire, mais sous-estime le problème, selon la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ). « On sait maintenant qu’il y a au moins 100 000 visites perdues, dit son directeur des communicat­ions et des affaires publiques, Jean-Pierre Dion. Mais on évalue qu’il y en a certaineme­nt plusieurs centaines de milliers. »

Des rendez-vous « bloqués »

Les médecins de famille peuvent déclarer, de façon volontaire, les absences sans préavis de leurs patients à la RAMQ. Un nouveau code de facturatio­n sans rémunérati­on a été créé en septembre 2021 (avec une applicatio­n rétroactiv­e à avril 2021) pour mesurer la proportion de patients n’honorant pas leurs rendez-vous.

Selon la RAMQ, 3652 médecins de famille — sur les quelque 7500 pratiquant en première ligne — ont utilisé le code. Ils ont rapporté 109 532 absences de 95 010 patients différents. Des récidivist­es figurent donc parmi les patients absentéist­es.

La Dre Élyse Allard, qui pratique à Havre-Saint-Pierre sur la Côte-Nord, a recours au code de la RAMQ depuis quelques mois. « Dans une journée où je peux voir 12 patients, ça peut m’arriver que le quart soit absent. Ça bloque des rendez-vous pour d’autres personnes qui auraient pu en avoir », se désole la médecin de famille.

Selon elle, le phénomène a empiré depuis la pandémie de COVID-19. Les patients semblent moins gênés de manquer une consultati­on téléphoniq­ue qu’un rendez-vous en personne au cabinet.

Le Dr François Vachon, qui pratique au GMF MédiCentre Chomedey de Laval, note au contraire que ses patients inscrits sont moins nombreux à lui faire faux bond depuis la crise sanitaire. « La pandémie a créé beaucoup de retards, beaucoup de patients tombaient entre deux chaises, dit-il. On dirait que quand les patients ont un rendez-vous avec moi, ils se considèren­t comme chanceux et ont de moins en moins tendance à manquer leur consultati­on qu’avant. »

Les poseurs de lapins demeurent toutefois fréquents au sans rendezvous, selon le Dr Vachon. Il estime que sur les 100 à 120 plages offertes chaque jour, 5 à 6 sont perdues. « Les gens prennent un rendez-vous par Internet sur RVSQ [Rendez-vous santé Québec], ils essaient deux ou trois démarches parallèles et souvent, ils finissent par être vus, mais ils n’annulent même pas », déplore le médecin qui a cessé de signaler ces absences à la RAMQ.

Le D r Vachon croit que les patients ont peu de raisons d’agir ainsi. La plateforme RVSQ envoie des notificati­ons pour confirmer les rendez-vous et offre la possibilit­é d’annuler.

Chez les spécialist­es aussi

Bien des médecins spécialist­es déplorent le phénomène. Aucun code de la RAMQ ne leur permet toutefois de mesurer l’ampleur de celui-ci.

Au Centre hospitalie­r universita­ire (CHU) Sainte-Justine, les 12 médecins de la clinique externe de gastro-entérologi­e pédiatriqu­e ont enregistré 523 absences depuis le 1er janvier, rapporte la gastro-entérologu­e Valérie Marchand. Un peu plus d’une centaine était le fait de nouveaux patients, ayant le plus souvent une priorité « D » (consultati­on offerte dans les trois mois après la demande), précise-t-elle.

« On a des listes d’attente, et les gens ne comprennen­t pas que, si eux ne viennent pas, ils vont reprendre une deuxième place plus tard et vont aussi prendre la place d’un nouveau patient, qui aurait pu être vu et qui, lui, serait venu », explique la Dre Marchand. Ces no-show nuisent à l’efficacité du système de santé, souligne-t-elle.

On a des listes d’attente, et les gens ne comprennen­t pas que, si eux ne viennent pas, ils vont reprendre une deuxième place plus tard et vont aussi prendre la place d’un nouveau patient, qui aurait pu être vu »

et qui, lui, serait venu VALÉRIE MARCHAND

« Il semble y avoir une déresponsa­bilisation du patient par rapport à cette responsabi­lité sociale », dit-elle.

La Fédération des médecins spécialist­es du Québec (FMSQ) est bien consciente du problème. Elle souligne que « plusieurs types d’interventi­ons » diagnostiq­ues ou chirurgica­les « peuvent générer de l’anxiété et des craintes chez les patients ». Des malades anxieux s’absentent sans avertir leur spécialist­e.

Selon la FMSQ, les médecins « prennent le temps » de bien expliquer les procédures aux patients afin de les rassurer et d’éviter ce type de situation.

Le syndicat de médecins croit qu’il faut aussi sensibilis­er la population à l’importance d’annuler son rendezvous et aux conséquenc­es de ne pas le faire. « On peut également convoquer les patients qui ratent leurs deux rendez-vous à une rencontre en consultati­on externe, afin de discuter de l’interventi­on, de la nécessité de l’effectuer, et les rassurer au besoin, afin de limiter l’anxiété et les craintes qui peuvent conduire à un no show », ajoute la FMSQ dans un courriel.

La Dre Alexandra Dépeault, chirurgien­ne à l’Hôpital de La Malbaie, dans la région de Charlevoix, implore les patients d’appeler leur clinique pour annuler leur rendez-vous. « Ce n’est pas grave d’annuler, dit-elle. Il peut arriver des choses dans la vie. Les gens peuvent avoir peur de l’examen. Leur conjoint peut être malade, ça n’adonne pas. On va juste reporter leur rendez-vous. »

Jean-Pierre Dion, de la FMOQ, croit également qu’il faut miser sur « l’éducation des patients ». Les systèmes d’annulation de rendez-vous doivent cependant être efficaces et rapides, souligne-t-il. Difficile de reprocher à un patient de baisser les bras après 45 minutes d’attente au téléphone.

Newspapers in French

Newspapers from Canada