Le Devoir

Les jeunes pris dans l’écran de fumée du vapotage

Des intervenan­ts appellent à mieux encadrer la vente à des mineurs ainsi que les dépassemen­ts de la teneur légale en nicotine

- MARCO FORTIER LE DEVOIR VOIR PAGE A 4 :

Avec 50 milligramm­es de nicotine, ça donne un head rush pendant une minute, comme si tu étais high

UNE ÉLÈVE DE 5E SECONDAIRE

L’industrie du vapotage est tellement dynamique que le marché progresse plus vite que l’encadremen­t légal

FLORY DOUCAS

Des dépanneurs qui vendent des articles de vapotage à des jeunes de moins de 18 ans. Des cartouches qui affichent une « sensation » équivalant à deux fois et demie la teneur légale en nicotine. Des saveurs laissant croire que le vapotage, c’est comme du bonbon. Le « fléau » du vapotage prend de l’ampleur chez les jeunes en raison de failles dans la réglementa­tion et dans l’applicatio­n de la loi.

Le Devoir a constaté que l’achat de produits de vapotage par des mineurs est littéralem­ent un jeu d’enfant. Des jeunes de moins de 18 ans achètent couramment des vapoteuses au dépanneur sans se faire demander leurs cartes d’identité, même si la loi interdit la vente de ces produits aux mineurs.

Des dépanneurs offrent aussi des cartouches offrant une teneur en nicotine de 50 milligramm­es par millilitre — deux fois et demie la limite légale de 20 mg/ml. D’autres produits promettent la « sensation » d’une teneur de 50 mg/ml, même si la concentrat­ion réelle est de 20 mg/ml, selon l’emballage.

« Avec 50 milligramm­es de nicotine, ça donne un head rush pendant une minute, comme si tu étais high », raconte une élève de 5e secondaire.

Elle et six de ses amis de la RiveSud s’approvisio­nnent en articles de vapotage dans des dépanneurs de Longueuil, de Saint-Bruno-deMontarvi­lle et de Saint-Basile-leGrand, en Montérégie. Ces jeunes de 16 et 17 ans, étudiants au secondaire et au collégial, achètent ces produits interdits aux mineurs sans se faire poser de questions par les commis de leurs dépanneurs préférés.

« Les propriétai­res du dépanneur où je vais me connaissen­t », raconte une cégépienne de 17 ans. Elle a commencé à vapoter l’an dernier, après avoir constaté que « tout le monde le faisait » dans les soirées chez des amis.

« Dès que t’en as une [vapoteuse] pour les partys, c’est fini. T’es addict », dit-elle. Les cartouches à saveur de melon d’eau, de fruit de la passion ou de pomme verte lui donnent l’impression de manger des bonbons. Elle connaît les risques du vapotage pour la santé, mais elle ne s’en inquiète pas.

Les écoles au front

Des responsabl­es de la santé publique, des intervenan­ts scolaires et des groupes antitabac s’inquiètent de la proliférat­ion du vapotage chez les jeunes. La plus récente Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool,

la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire révèle que la proportion des jeunes ayant vapoté dans les 30 jours précédant l’enquête a quintuplé en six ans (de 4 % en 2013 à 21 % en 2019).

« Les jeunes ne trouvent pas ça menaçant. Ils n’ont pas l’impression de fumer, ça ne sent pas mauvais comme une cigarette », dit Patrice Daoust, directeur aux services complément­aires à la Fédération des établissem­ents d’enseigneme­nt privés.

« Les élèves fument ça un peu partout. Si ça sent la gomme balloune ou la liqueur aux fraises, il y a une vapoteuse quelque part. C’est un gros problème à l’heure actuelle », ajoute-t-il.

Les parents demandent aux écoles d’encadrer l’usage de la vapoteuse, explique-t-il. Les directions d’école peuvent bien l’interdire, mais elles ont besoin d’outils pour freiner ce marché officielle­ment réservé aux adultes, mais qui séduit les ados, ajoute l’intervenan­t.

Patrice Daoust note que les dépanneurs situés près des écoles secondaire­s ont souvent tendance à fermer les yeux sur l’achat de produits de vapotage par des mineurs. Il estime que Santé Canada devrait consacrer plus d’efforts à faire respecter la loi sur les produits de vapotage, pour éviter la vente à des jeunes de moins de 18 ans.

Ottawa devrait aussi donner suite rapidement à sa volonté annoncée d’interdire les arômes dans les liquides de vapotage, croit l’intervenan­t scolaire. « Ça fait des années qu’il en est question et il n’y a rien qui est fait », dit-il.

Des groupes de consommate­urs adeptes du vapotage mènent une campagne pour éviter le bannisseme­nt des arômes, qui font partie du plaisir d’inhaler ces produits, selon eux.

Une industrie à encadrer

Flory Doucas, codirectri­ce et porteparol­e de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, se montre critique envers les gouverneme­nts du Québec et du Canada. « L’industrie du vapotage est tellement dynamique que le marché progresse plus vite que l’encadremen­t légal », dit-elle.

La nouvelle stratégie d’afficher des cartouches « boostées », qui offrent une « sensation » de 50 mg de nicotine par millilitre de liquide, tout en respectant la limite de 20 mg, sème la confusion auprès des ados, selon Mme Doucas. « Souvent, l’étiquetage des emballages de produits de vapotage n’est pas particuliè­rement clair ou adéquat par rapport au contenu et aux ingrédient­s des produits. Cela laisse énormément de place aux illusions et à l’interpréta­tion. »

De plus, pendant que les gouverneme­nts tardent à interdire les arômes, les géants du tabac mettent en marché la quatrième génération de vapoteuses, des appareils « intelligen­ts » qui se synchronis­ent avec les téléphones des ados. Et la vente en ligne d’articles de vapotage a beau être interdite au Québec, des sites canadiens offrent des produits accessible­s aux jeunes d’ici.

Flory Doucas s’étonne des délais pour mieux encadrer l’industrie du vapotage : les plus récents rapports d’inspection de Santé Canada — qui datent de près d’un an — confirment bel et bien des infraction­s à la loi. Des vérificati­ons menées entre les mois d’août 2021 et mars 2022 dans 191 établissem­ents de vapotage spécialisé­s ont révélé que 60 % d’entre eux contrevena­ient d’une façon ou d’une autre à la réglementa­tion.

Les inspecteur­s fédéraux ont aussi mené des vérificati­ons dans 1320 stations-service et dépanneurs : 11 % des commerces inspectés ne respectaie­nt pas les exigences relatives aux produits de vapotage. « Dans la majorité des cas de non-conformité, la concentrat­ion en nicotine indiquée sur l’étiquette du produit de vapotage était supérieure à 20 mg / ml », précise Santé Canada.

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