Le Devoir

Un projet de loi pour réduire l’attente aux petites créances

- STÉPHANIE MARIN LE DEVOIR

Vu la longue attente pour obtenir une date de procès aux petites créances, le ministre de la Justice, Simon JolinBarre­tte, a déposé mercredi un projet de loi qui rendrait la médiation gratuite obligatoir­e, et l’arbitrage automatiqu­e, lorsque la somme réclamée est de moins de 5000 $.

Cette mesure toucherait la moitié des dossiers aux petites créances, estime le ministre, qui y voit une façon de réduire les délais pour les citoyens, mais aussi de décharger les juges qui auront alors plus de temps pour entendre d’autres causes.

Le constat est alarmant : l’attente ne cesse de s’allonger aux petites créances, une division de la Cour du Québec qui entend les causes d’une valeur pécuniaire de 15 000 $ et moins. Les citoyens s’y représente­nt eux-mêmes, sans avocat, pour une foule de réclamatio­ns allant du contrat de rénovation non payé à celle dirigée contre un vendeur qui refuse de rembourser un téléviseur défectueux.

Les données du gouverneme­nt québécois font actuelleme­nt état d’une période moyenne de 664 jours entre le dépôt de la réclamatio­n et la date de procès.

« C’est pratiqueme­nt deux ans. C’est très long », a dit le ministre en conférence de presse mercredi sur son projet de loi 8. L’attente dépasse trois ans dans certains districts, a-t-il reconnu.

Le ministre Jolin-Barrette fait le calcul suivant : parmi les 18 000 à 20 000 réclamatio­ns déposées chaque année aux petites créances, environ la moitié concerne des montants de moins de 5 000 $. Si le projet de loi est adopté, cela représente­rait environ 10 000 dossiers qui n’auraient plus à être traités par des juges. Par la suite, il aimerait que la médiation obligatoir­e s’applique à tous les dossiers des petites créances. Son taux de succès est de plus de 50 %.

Le délai pour la médiation serait de 3 à 9 mois, bien en deçà de la moyenne d’attente de 22 mois avant que l’affaire soit entendue par un juge, a déclaré le ministre.

Et si la médiation ne fonctionne pas, le dossier sera alors transmis automatiqu­ement à un arbitre, dont la décision mettrait fin au litige.

« Ça va désengorge­r le tribunal », a commenté la bâtonnière du Québec, MeCatherin­e Claveau, en entrevue. C’était d’ailleurs une piste de solution qui avait été suggérée par le Barreau au ministre.

Pour que son projet soit couronné de succès, il faut évidemment que suffisamme­nt de médiateurs soient disponible­s et prêts à accepter le taux horaire de 114 $ l’heure, une rémunérati­on inférieure à celle que facturent bien des avocats à Montréal. M. JolinBarre­tte a déclaré qu’il y avait assez de médiateurs accrédités au Québec pour répondre à la demande.

Pour attirer les médiateurs, il faut qu’ils soient adéquateme­nt rémunérés, souligne la bâtonnière : il serait donc intéressan­t, selon elle, que la mesure soit accompagné­e d’une révision des tarifs.

Simplifier pour aller plus vite

Le projet de loi 8 prévoit bon nombre d’autres mesures visant à simplifier le cheminemen­t des causes en Cour du Québec, ce qui permettrai­t, selon le ministre, de réduire la durée des procédures judiciaire­s — et donc aussi les coûts pour les citoyens.

Si son projet voit le jour tel quel, il n’y aura plus d’interrogat­oires avant procès dans les causes de moins de 50 000 $, les expertises seront aussi limitées et les défenses auront au plus deux pages pour présenter les éléments de la contestati­on.

La médiation sera là aussi favorisée : les dossiers ayant réalisé cette étape, mais sans succès, seront priorisés et se retrouvero­nt en haut de la pile remise aux juges.

Le projet de loi prévoit aussi que les notaires ayant plus de 10 ans de pratique pourront être nommés juges à la Cour du Québec « pour diversifie­r la magistratu­re. » Ils ont la même formation que les avocats, a justifié le ministre, et leur « approche axée d’abord sur la prévention et la conciliati­on » sera utile puisqu’il veut « miser davantage sur la médiation ».

Jusqu’à maintenant, la seule voie d’accès à la magistratu­re est la profession d’avocat. Les notaires n’ont pas été formés en matière de litiges devant les tribunaux et n’ont d’ailleurs pas le droit d’y représente­r des clients. La loi, si elle est adoptée, leur permettrai­t pourtant de présider des procès — sans en avoir fait un seul.

La bâtonnière s’est dite « tout à fait étonnée » de cette propositio­n.

« On n’a pas vu venir cela. Ça n’a jamais fait l’objet de discussion­s. »

Si la formation universita­ire est la même pour les avocats et les notaires, elle diverge par la suite, les deux profession­s ayant différente­s spécialité­s, résume-t-elle, ajoutant que la majorité des avocats qui accèdent à un poste de juge ont une expérience de litige devant les tribunaux.

Newspapers in French

Newspapers from Canada