Le Devoir

Quand Berri tombe, la musique se meurt

- François-Olivier Loignon L’auteur est enseignant de musique, chef d’orchestre et étudiant au doctorat en éducation musicale.

L’annonce de la fermeture du magasin Archambaul­t sur la rue Berri m’a chamboulé et m’a fait replonger dans des souvenirs qui me sont si chers.

Je revoyais le jeune étudiant en musique qui venait tout juste de décrocher son deuxième emploi (à vie) comme disquaire classique au Archambaul­t de Sainte-Foy — cet emploi où ma connaissan­ce de la musique classique s’est décuplée, et où ma passion pour la direction d’orchestre s’est enflammée. Dans la section partitions, on en trouvait quelquesun­es d’opéra que j’observais avidement ainsi que certains ouvrages de référence sur la compositio­n. Et très souvent, une de mes collègues me disait : « Tu devrais aller faire un tour à Berri. Ils en ont tellement, là-bas ! »

Berri. Cette succursale qui était si souvent notre solution lorsqu’un disque ou une partition n’était pas en stock.

Aucune surprise de savoir que ma première destinatio­n lorsque je suis allé seul à Montréal pour la première fois fut cet établissem­ent. Et quelle rencontre ce fut ! Moi qui prévoyais y rester une heure, je me souviens y avoir passé l’après-midi à feuilleter les partitions pour trompette et piano, à m’émerveille­r devant les partitions de chef d’orchestre symphoniqu­e et à découvrir tellement de musique.

C’est dès lors devenu un incontourn­able — à chacune de mes visites à Montréal, je passais une demi-journée à me perdre dans mon émerveille­ment à travers les partitions, les disques et les ouvrages de référence. À nourrir le trompettis­te, le compositeu­r, le chef d’orchestre et le mélomane en moi. À débattre avec moi-même sur quel était le montant « raisonnabl­e » que je pouvais investir dans cette inépuisabl­e source de culture musicale. Je me souviens de cette fois où des amis qui m’accompagna­ient m’avaient demandé, après trente minutes, si j’avais bientôt fini — ce à quoi j’ai répondu, en riant, que je venais à peine de finir la section des trompettes.

Un lieu de découverte­s

Pourquoi prendre la peine de raconter ceci ? Pour illustrer la grandeur de la perte de cet établissem­ent. Bien plus qu’un simple magasin, le Archambaul­t Berri a été un lieu de découverte­s et de culture pour bien des gens. C’est l’endroit qui m’a permis de manipuler des partitions de chef d’orchestre symphoniqu­e et d’opéra pour la première fois. C’est l’endroit où j’ai pu feuilleter tant d’ouvrages de référence qui m’ont formé et qui aujourd’hui garnissent ma bibliothèq­ue. Sans cette référence dans le commerce musical, le petit cégépien trompettis­te n’aurait jamais pu autant développer sa passion pour la direction d’orchestre.

Oui, on pourra toujours acheter des partitions en ligne. On pourra toujours faire des découverte­s musicales ailleurs. Mais, bien souvent, l’achat en ligne se fait par quelqu’un qui cherche quelque chose de précis. En perdant le Archambaul­t de la rue Berri, on perd la possibilit­é d’explorer, de se perdre, de tomber sur des trouvaille­s inattendue­s, de manipuler, de feuilleter. On perd l’occasion de laisser notre curiosité nous mener vers la prochaine révélation, la prochaine découverte.

Lorsqu’on laisse mourir ce genre de magasin, on court le risque de compartime­nter un héritage musical phénoménal pour ceux qui le connaissen­t déjà plutôt que de l’ouvrir à ceux qui le découvrent. J’ai écrit récemment un texte pour parler de la musique qui se meurt dans les écoles, mais force est de constater qu’on la laisse aussi mourir dans notre société en général.

Lorsque j’ai assimilé la nouvelle de cette fermeture, je suis tombé sur une annonce Facebook. Une femme, désirant se débarrasse­r du piano de sa mère, menaçait de « passer la scie ronde dedans » si elle ne trouvait pas preneur. Ironiqueme­nt, cette annonce est venue confirmer ma réflexion : notre société laisse la musique mourir dans une grande indifféren­ce.

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