Le Devoir

Les oeillères du ministre de l’Éducation

L’école à trois vitesses gangrène notre système, mais Bernard Drainville ne veut ni le voir ni le penser

- Réjean Bergeron L’auteur est philosophe et essayiste. Il a publié Je veux être un esclave ! (2016), L’école amnésique, ou, Les enfants de Rousseau (2018) et Homère, la vie et rien d’autre ! (2022).

Bernard Drainville, le nouveau ministre de l’Éducation du Québec, vient de déposer son « plan » de travail pour les prochaines années. Certaines personnes l’ont trouvé solide et plusieurs sont demeurées sceptiques, disant tout au plus qu’ils laissaient la chance au coureur. Malheureus­ement, ce que je constate, c’est que beaucoup trop d’analystes se sont laissés berner par le mot « plan » !

En vérité, à moins de vouloir jouer sur les mots, ce que le ministre nous a présenté n’est pas un plan, pas même une feuille de route. En fait, il s’agit plutôt d’une petite liste d’épicerie composée de sept articles — ou, si vous voulez, de sept intentions — qui seraient censés remettre à flot le paquebot de l’éducation qui, un peu à l’image du Titanic, est en train de sombrer après avoir frappé trop de fois l’iceberg de la médiocrité.

Comme je le craignais dans une lettre publiée dans Le Devoir en décembre dernier qui avait pour titre « Le Québec est mûr pour une grande discussion en éducation », le ministre est tombé dans le piège à ours du pragmatism­e à oeillères en limitant son mandat à du rafistolag­e et à du bricolage. Au lieu de vouloir travailler à partir d’une vision claire de l’éducation, vision qu’il aurait pu nous présenter avant de prendre un ensemble de décisions porteuses, il a plutôt décidé, à la manière de tous les ministres de l’Éducation qui l’ont précédé au cours des vingt dernières années, de travailler sur les urgences, sur le plus pressant et aussi le plus payant politiquem­ent parlant.

Bien sûr qu’il faut travailler sur la qualité du français, sur la rénovation des écoles, sur le recrutemen­t d’enseignant­s et d’enseignant­es et tutti quanti… Mais comment allons-nous y arriver ? Pas de détails, pas de stratégie à long terme, pas de vision pour un système d’éducation qui est en train de se liquéfier sous nos yeux.

Ah oui, il y a ces projets particulie­rs que le ministre voudrait offrir à tous ceux qui en feraient la demande dans les écoles publiques, propositio­n qu’il semble avoir concoctée — nous ne sommes pas dupes — afin de ne pas devoir parler de l’éléphant dans la pièce. Je fais évidemment allusion au dossier de l’école à trois vitesses, à cette sélection des élèves les plus forts à laquelle s’adonnent les écoles privées et certaines écoles publiques à programmes particulie­rs.

Les études sur le sujet sont pourtant claires : cette approche mercantile et déloyale est cause de ségrégatio­n dans notre système d’éducation, elle perpétue le cycle de la pauvreté, reproduit les inégalités et encourage l’exclusion sociale. En somme, l’école à trois vitesses gangrène notre système d’éducation depuis des années. Mais cela, le ministre ne veut pas le voir et encore moins le penser.

Anti-intellectu­alisme

En fait, ma plus grande déception envers le point de presse qu’a fait M. Drainville pour nous présenter ses sept intentions concerne l’antiintell­ectualisme dont il fait preuve depuis sa nomination. Tout le monde se souvient de son fameux « Lâchez-moi avec les GES ! » qu’il a prononcé lorsqu’un journalist­e le questionna­it à propos des impacts du troisième lien.

C’est une remarque similaire qu’il a servie à un autre journalist­e qui lui demandait pourquoi il ne voulait pas entreprend­re une réflexion au sujet des bulletins chiffrés : « J’ai pas le goût », a-t-il alors répondu, comme si ce dossier de première importance relevait du sentiment ou de l’humeur du moment.

Celui qui était pourtant journalist­e dans une autre vie ne semble absolument pas ouvert aux débats d’idées, à une réflexion en profondeur sur les problèmes auxquels est confronté notre système d’éducation. À moins de ne pas suivre l’actualité, tout le monde ou presque a entendu parler au cours des dernières semaines de l’initiative Parlons éducation, ce regroupeme­nt de citoyens qui, face à l’inaction et au manque de vision de nos décideurs politiques, ont décidé de se mobiliser en offrant à la population l’occasion de participer au printemps prochain à divers forums portant sur des questions cruciales en éducation, et ce, dans 18 villes du Québec.

Face à cette initiative citoyenne incroyable, quelle a été l’attitude du ministre de l’Éducation ? Silence radio, pas même une tape dans le dos ou un coup de chapeau à ces dizaines de bénévoles qui sont à l’origine de cette noble cause.

Cette attitude du ministre à l’endroit de tout ce qui est débat d’idées et vision à long terme est triste, indigne et de très mauvais augure pour l’avenir, tout particuliè­rement pour celui des jeunes génération­s. À mon humble avis, le Québec mériterait beaucoup mieux que cette fermeture d’esprit !

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Bernard Drainville, qui était pourtant journalist­e dans une autre vie, ne semble absolument pas ouvert aux débats d’idées, à une réflexion en profondeur sur les problèmes auxquels est confronté notre système d’éducation.

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