Le Devoir

Combien de projets de condos de plus avant une vraie catastroph­e ?

Est-il si fou de vouloir des projets réellement adaptés aux besoins du quartier dans Hochelaga-Maisonneuv­e ?

- Marine G. Armengaud L’autrice est organisatr­ice communauta­ire. Elle signe ce texte au nom du Comité BAILS et d’Entraide Logement (Hochelaga-Maisonneuv­e).

Le rapport annuel de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), publié le 26 janvier dernier, est sans appel : la crise du logement atteint des seuils critiques jamais vus depuis 20 ans, qu’il s’agisse des taux d’inoccupati­on ou de la hausse annuelle des loyers. Si l’informatio­n est sans surprise pour les comités logement, le rapport met en lumière un aspect de la crise dont on a que trop peu parlé : les logements disponible­s sont très majoritair­ement inabordabl­es à la partie la moins fortunée de la population. À Montréal, 77 % du parc locatif disponible n’est pas accessible aux 20 % les plus pauvres de la population, donc à ceux qui subissent de plein fouet la crise du logement.

Dans Hochelaga-Maisonneuv­e, le plus grand projet de condos du quartier vient d’être validé par la Ville ; un projet immobilier « mixte écorespons­able » de près de 1000 logements, avec une communicat­ion des plus efficaces qui le ferait presque passer pour un projet social. Le projet Canoë, avec ses 600 condos, ses 200 logements locatifs privés, ses 140 places en coops, ses ateliers d’artistes, son café, son épicerie, fait systématiq­uement valoir dans ses publicités les notions de mixité sociale, d’échanges et de développem­ent durable. Mais il suffit de prêter un minimum d’attention pour constater qu’il ne fera que creuser la catastroph­e locative en cours.

Canoë prétend que le projet permettra d’endiguer la crise en raison de la création de nouveaux logements. Nous répondons que le revenu médian des individus du quartier est de 2200 $ par mois, et que le loyer moyen d’un logement de deux chambres en copropriét­é à Montréal cette année atteint 1517 $.

Nous ajoutons que la plupart des logements du projet sont des condos, que 30 % de la population du quartier vit en situation de bas revenus et que pour la majorité des habitants, l’accès à la propriété n’a jamais été une option. Les condos ont par ailleurs largement prouvé qu’ils encouragea­ient la spéculatio­n en exerçant une pression sur les loyers, précipitan­t ainsi le phénomène endémique des évictions.

Canoë se défend d’offrir une diversité de logements avec 140 places de coops et une cinquantai­ne de logements « abordables ». Nous répondons que hormis le fait que ceux-ci ne constituen­t que 20 % des logements du projet, aucun des logements proposés dans l’éventail ne garantit un loyer accessible aux revenus modestes : les coopérativ­es ne sont plus à coup sûr synonymes d’accessibil­ité aujourd’hui, et la notion d’« abordabili­té » comme entendue par la Ville est discutable et définie par rapport à un marché débridé et non par la capacité réelle de payer des habitants d’un quartier.

De quelle mixité sociale parlonsnou­s quand 90 % des logements sont réservés à une population nantie, remplaçant d’année en année la population originale du quartier ?

Pauvreté et évictions

Hochelaga-Maisonneuv­e se classe au troisième rang des quartiers les plus pauvres à Montréal, et est l’un des plus pauvres au Canada. Les trois quarts de ses ménages sont locataires.

Aux deux comités logement, il ne se passe pas une journée sans que nous rencontrio­ns des locataires aux loyers modestes victimes d’évictions, par des stratégies la plupart du temps malhonnête­s. La crise qui sévit actuelleme­nt est une crise où de gros promoteurs rachètent des immeubles en masse, où les ménages mis à la porte de chez eux ne retrouvent pas de logement dans le quartier, où les premiers touchés sont les habitants les plus anciens et les plus pauvres, où l’on devient itinérant plus facilement qu’on pense.

Nous ne comptons plus le nombre de ménages présents depuis plusieurs décennies dans le secteur qui sont subitement poussés de force en dehors de l’île. Chaque année qui passe, le quartier est plus transfigur­é et aucun retour en arrière n’est possible.

Pourtant, les politicien­s et certains milieux économique­s continuent de prétendre que la solution se trouve principale­ment dans la création de nouveaux logements, et en particulie­r de condos. Le gouverneme­nt du Québec comme l’administra­tion Plante continuent de donner des coups de pied dans le financemen­t du logement social et attendent du privé qu’ils répondent aux besoins de la crise. Hochelaga a été un des arrondisse­ments où il y a eu le plus de conversion­s en condos entre 2011 et 2019 selon la SCHL, et les évictions n’ont jamais été aussi volumineus­es.

À combien d’aînés traumatisé­s par le déracineme­nt, à combien de personnes vulnérable­s perdant leur réseau social, à combien de familles à la rue vous arrêterez-vous ?

Est-il si fou de vouloir des projets réellement adaptés aux besoins du quartier ? Est-il si fou de penser qu’un quartier en santé n’est pas un quartier où l’on remplace les pauvres par des riches, mais un quartier qui prend soin de ses habitants, de ses aînés, de ses familles, de ses jeunes, un quartier qui préserve son histoire, son patrimoine, nourrit son tissu social, et fait en sorte que l’améliorati­on du quartier se fasse avec et non pas contre sa population ?

Maintenant que la SCHL pointe du doigt l’enjeu de l’abordabili­té réelle des logements, allez-vous, Monsieur François Legault, Madame Valérie Plante, cesser de vous renvoyer la balle et vous attaquer réellement au problème ?

À combien d’aînés traumatisé­s par le déracineme­nt, à combien de personnes vulnérable­s perdant leur réseau social, à combien de familles à la rue vous arrêterezv­ous ?

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