La comédie d’une humanité cupide
L’une des sept pièces écrites par Balzac — versant méconnu de son oeuvre —, Mercadet ou Le faiseur aurait connu plusieurs versions depuis 1840, dont une fixée par Jean Vilar. Mais c’est une adaptation contemporaine, signée par la Québécoise Gabrielle Chapdelaine, que présente le Théâtre Denise-Pelletier. À l’heure où les inégalités se creusent, elle paraît en effet bien actuelle, cette grosse charge contre le capitalisme financier et les manipulateurs cupides qui profitent des autres pour vivre dans le luxe.
Spéculateur avide, Mercadet a tout perdu, y compris l’argent des voisins qu’il avait arnaqués. Si bien qu’il doit se cacher avec sa famille pour fuir ses créanciers — tout en continuant à abuser de ses employés non payés. Qui pourra-t-il berner pour retrouver son mode de vie doré ? La solution pourrait venir d’un bonze du bitcoin (amusant Christophe Payeur), un prétendant de leur fille. Une rebelle qui lui préfère un honnête comptable (juste Maxime-Olivier Potvin). Mais Mercadet n’est pas le seul profiteur de cet univers cynique, très transactionnel…
Gabrielle Chapdelaine a très efficacement adapté l’intrigue à notre époque avec moult références (ainsi ce débat sur la cryptomonnaie) et quelques bonnes réparties. Sauf pour un élément clé du récit, le mariage arrangé, qui passe plus difficilement aujourd’hui — même si l’autrice s’y est employée vaillamment. Ajoutez qu’on pense à Molière devant cette comédie où la vérité, ou la voix de la raison, provient souvent d’une domestique (piquante Charlie Monty) ou de la fille qu’on voudrait marier contre son gré. Tout ça forme un peu un drôle de mélange.
La mise en scène d’Alice Ronfard ajoute une couche de décalage au spectacle, en imposant une gestuelle prononcée aux personnages. En l’absence d’accessoires, ils miment la manipulation d’objets (comme les drinks), accompagnée par un bruitage très sonore — qui peut agacer par son omniprésence. Ce choix inspire diverses interprétations : référence à la virtualité, la dimension abstraite du système financier actuel — et des nouvelles monnaies —, impression d’un monde basé sur de la poudre aux yeux. Cela paraît également souligner le vide qui marque cette corruptible humanité. Ainsi Mercadet prétend qu’au moins, les dettes le font exister puisque ses créanciers pensent à lui…
Une chorégraphie, avec un côté mécanique, que maîtrise la convaincante distribution. Karine Gonthier-Hyndman et Alex Bergeron, au jeu subtil, s’imposent en couple sans vergogne. Alexandra Gagné-Lavoie révèle une forte présence, bien que son personnage de 22 ans évoque une grosse caricature d’ado.
En fin de compte, malgré sa légèreté de ton, Le faiseur offre le portrait d’un monde bien désolant.
Le faiseur
De Gabrielle Chapdelaine, d’après la pièce d’Honoré de Balzac. Mise en scène : Alice Ronfard. Au théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 18 février.