Le Devoir

Les libéraux reculent sur le projet de loi C-21… pour l’instant

De nombreux fusils de chasse ont finalement été retirés d’une liste d’armes à feu prohibées au Canada

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA LE DEVOIR

Le gouverneme­nt Trudeau a fait marche arrière et a retiré vendredi deux importants amendement­s controvers­és qui auraient interdit des dizaines de modèles d’armes d’assaut, mais aussi d’armes de chasse. Ces propositio­ns avaient outré politicien­s, communauté­s autochtone­s et propriétai­res d’armes à feu. Après deux mois de débats houleux, le gouverneme­nt libéral a abdiqué… pour l’instant. Car l’étude parlementa­ire se poursuivra, et le gouverneme­nt n’a pas renoncé à formaliser comme prévu l’interdicti­on d’armes d’assaut.

« Comme nous l’avons dit à maintes reprises, l’intention du gouverneme­nt est de se concentrer sur les AR-15 et autres armes d’assaut, et non sur les armes couramment utilisées pour la chasse », a réitéré le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, dans une déclaratio­n écrite vendredi.

« Des préoccupat­ions légitimes ont été soulevées quant à la nécessité de procéder à davantage de consultati­ons et de débats sur cette partie essentiell­e du projet de loi, a-t-il toutefois reconnu. Nous entendons ces préoccupat­ions, nous regrettons la confusion que ce processus a provoquée et nous nous engageons à mener une conversati­on réfléchie et respectueu­se, basée sur les faits et non sur la peur. »

En matinée, son collègue libéral Taleeb Noormohame­d venait de retirer les deux amendement­s, avec l’accord des membres du Comité parlementa­ire de la sécurité publique. Un revirement étonnant puisque le gouverneme­nt défendait bec et ongles depuis deux mois sa volonté d’enchâsser dans la loi son interdicti­on des armes d’assaut (mise en oeuvre par voie de règlement en 2022) afin d’empêcher un futur gouverneme­nt conservate­ur, par exemple, de la révoquer.

Les deux amendement­s, déposés en toute fin d’étude en comité parlementa­ire en novembre, étaient dénoncés tant par le Parti conservate­ur que par le Bloc québécois. Même le Nouveau Parti démocratiq­ue avait refusé de les appuyer. Les libéraux étaient en outre vivement critiqués dans de nombreuses régions rurales, ce qui avait créé un malaise au sein du caucus.

Partie remise

Le groupe PolySeSouv­ient s’est dit « sous le choc » vendredi. « Il est clair que la désinforma­tion propagée par les députés conservate­urs et le lobby proarmes a gagné », a dit Nathalie Provost, survivante de la tuerie de Polytechni­que et porte-parole du regroupeme­nt.

Le comité parlementa­ire s’est cependant aussi entendu pour prolonger l’étude du projet de loi C-21. Et le ministre Mendicino a indiqué que son gouverneme­nt pourrait ainsi revenir à la charge, avec une version modifiée des amendement­s. « Nous allons maintenant travailler avec nos collègues parlementa­ires pour élaborer une solution claire qui empêchera les armes de type assaut de se retrouver dans nos rues », a-t-il déclaré.

PolySeSouv­ient mise ses espoirs sur le Bloc québécois, puisque le gouverneme­nt libéral n’a besoin de l’appui que d’un seul parti d’opposition pour faire adopter ses projets de loi et ses amendement­s. « Il serait impensable pour le Bloc de ne pas collaborer en ce sens », a fait valoir Nathalie Provost.

La députée bloquiste Kristina Michaud s’est montrée disposée à soutenir un nouvel amendement du gouverneme­nt, lui tendant ainsi carrément la main. « Ce retrait était nécessaire, mais devra nécessaire­ment être suivi d’une nouvelle propositio­n », a fait valoir Mme Michaud par écrit. Le Bloc souhaite lui aussi renforcer l’interdicti­on d’armes d’assaut de style militaire.

Le chef du Nouveau Parti démocratiq­ue, Jagmeet Singh, s’est dit disposé, comme le Bloc, à appuyer un nouvel amendement qui viendrait définir les « armes d’assaut de style militaire » qui seraient interdites au Code criminel.

Un appel au vote conservate­ur

Le chef conservate­ur, Pierre Poilievre, a justement saisi cette volonté des libéraux de proposer une autre version d’amendement pour marteler que l’interdicti­on d’armes d’assaut — voire de toutes les armes à feu au pays, a-t-il prétendu sans preuve en ce sens — n’est qu’une question de temps.

Ce qui lui a permis de lancer un appel au vote pour sa formation. « [Justin Trudeau] réintrodui­ra [ces propositio­ns] lors de cette session du Parlement ou, Dieu nous protège, s’il était réélu à la tête d’un gouverneme­nt majoritair­e un jour, il les ferait adopter de force », a déclaré M. Poilievre. « La seule façon pour les chasseurs et les fermiers respectueu­x des lois de protéger leur mode de vie est d’élire un gouverneme­nt majoritair­e conservate­ur dirigé par Pierre Poilievre », a-t-il martelé en anglais uniquement.

Les deux amendement­s du gouverneme­nt libéral proposaien­t de modifier la définition d’« armes prohibées », puis ciblaient en annexe de la loi une liste de centaines de marques et de modèles d’armes, sur 300 pages, qui seraient désormais prohibées. La liste contenait cependant aussi des exemptions, ce qui créait — de concert avec la nouvelle définition — de la confusion quant aux modèles précis qui seraient réellement bannis.

C-21 propose par ailleurs d’interdire les armes d’assaut, d’alourdir les peines maximales pour la contreband­e et le trafic d’armes à feu et de retirer le permis d’armes à feu à toute personne impliquée dans un acte de violence domestique ou de harcèlemen­t criminel.

Comme nous l’avons dit à maintes reprises, l’intention du gouverneme­nt est de se concentrer sur les AR-15 et autres armes d’assaut, et non » sur les armes couramment utilisées pour la chasse

MARCO MENDICINO

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JONATHAN HAYWARD ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Le projet de loi C-21 propose entre autres d’interdire les armes d’assaut.

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