Le Devoir

Contester une hausse, ou pas ?

- JEANNE CORRIVEAU LE DEVOIR

En cette période d’avis d’augmentati­on de loyer, les locataires doivent s’attendre à de mauvaises surprises cette année, car les hausses imposées par leur propriétai­re pourraient être salées. Si les locataires sont en droit de contester l’augmentati­on de loyer qu’ils jugent abusive, certains hésitent à le faire de crainte de voir leur nom inscrit dans les dossiers du Tribunal administra­tif du logement (TAL) pour l’éternité.

L’inflation, l’augmentati­on des coûts des matériaux et des services, des taxes municipale­s et scolaires en hausse, des frais d’assurance en progressio­n. Tous ces éléments ont le potentiel de faire exploser les coûts des loyers en 2023.

Le nombre d’appels reçus en ce début d’année par les comités logement concernant les hausses de loyer laisse présager une saison difficile pour le renouvelle­ment des baux. Le Bureau d’animation et informatio­n logement du Québec métropolit­ain (BAIL) a déjà dénombré deux fois plus d’appels qu’à la même période l’an dernier, et 2022 n’avait pas été facile.

« Ça s’annonce comme une année record », indique Jonathan Carmichael, organisate­ur communauta­ire au BAIL. Il est impossible pour l’instant d’évaluer les hausses moyennes imposées aux locataires, mais, à en juger par les appels reçus, les hausses moyennes demandées par les propriétai­res sont de 55 $ alors que le loyer moyen est de 851 $.

Pour 2023, le TAL a établi à 2,3 % le taux moyen d’augmentati­on pour les logements non chauffés, mais cela demeure un indice qui ne tient pas compte des hausses de taxes municipale­s et scolaires dans chaque localité et d’autres dépenses engagées par le propriétai­re. Il est ainsi nécessaire d’utiliser la grille de calcul du TAL pour déterminer la hausse réelle pour chaque logement.

« Les locataires y vont à l’aveugle quand le propriétai­re ne leur fournit pas les preuves », indique Jonathan Carmichael. S’il est possible de consulter les hausses de taxes pour chaque immeuble, une donnée publique, il devient plus difficile pour un locataire de connaître le montant des assurances de l’immeuble ou le coût des travaux effectués dans le cas de rénovation­s majeures.

Un locataire peut demander au propriétai­re de lui fournir les données de sa grille de calcul et, mieux encore, les pièces justificat­ives liées aux augmentati­ons, mais il ne peut les exiger. Si toutefois le dossier se retrouve en fixation de loyer devant le TAL, le propriétai­re devra fournir tous ces documents.

L’Associatio­n des propriétai­res du Québec (APQ) concède que les augmentati­ons de loyer seront plus élevées cette année. Son président, Martin A. Messier, évoque des hausses jusqu’à 17 % pour des immeubles ayant fait l’objet de travaux majeurs, en respect de la grille de calcul du TAL.

Il signale qu’en plus des hausses de taxes, qui varient d’une municipali­té à l’autre, les assurances ont continué d’augmenter en 2023. « Il y a de moins en moins d’assureurs qui sont actifs dans le marché locatif, et les prix augmentent. Pour les plus gros immeubles, c’est devenu difficile de trouver un assureur », explique Martin A. Messier, président de l’APQ, qui cite aussi la récurrence des sinistres, le vieillisse­ment du parc immobilier et le rendement des travaux majeurs — bien que la durée de l’amortissem­ent ait connu une baisse cette année.

Contester ou pas

Il n’est pas illégal pour un propriétai­re d’imposer une hausse de loyer comme bon lui semble, que ce soit 10 $ ou 300 $ de plus par mois. Mais tout locataire a le droit de s’y opposer. En revanche, en cas de jugement en fixation de loyer — comme dans d’autres causes —, les noms des parties seront inscrits au plumitif, ce qui rebute certains locataires qui craignent que le fait d’être « fichés » au TAL leur cause préjudice s’ils recherchen­t un nouveau logement dans le futur, et ce, même si le tribunal leur a donné raison.

« Les propriétai­res ont tellement le choix quand vient le temps de louer un logement qu’ils vont dire qu’un locataire qui défend ses droits, ils n’en veulent pas », soutient Stéphane Moreau, organisate­ur communauta­ire au Comité logement Rive-Sud. Il reconnaît toutefois qu’il est difficile de prouver qu’un propriétai­re a refusé de louer un logement à une personne dont le nom apparaît dans le plumitif pour un dossier de fixation de loyer.

« Il faudrait que notre système de justice cesse de publier les petites causes comme ça, à savoir des fixations de loyer à tout le moins, avance M. Moreau. Les dossiers de fixation de loyer ne sont pas des causes qui ont besoin d’un gros délibéré, parce que, dans certains cas, ce n’est même pas un juge qui tranche, c’est un greffier avec sa calculatri­ce. »

Jonathan Carmichael signale pour sa part qu’en vertu de l’article 1899 du Code civil du Québec, un locateur ne peut refuser un bail à un locataire « pour le seul motif que cette personne a exercé un droit qui lui est accordé en vertu du présent chapitre ou en vertu de la Loi sur le Tribunal administra­tif du logement ».

L’enjeu de la transparen­ce

Avocat en droit du logement, Me Manuel Johnson reconnaît que la publicatio­n des noms des parties au plumitif dans de telles causes est susceptibl­e de rebuter des locataires et même de leur causer préjudice dans le futur. Les recherches ont été grandement facilitées en 2009 avec la mise en ligne des dossiers, et n’importe qui peut rechercher dans les données de CanLII (Institut canadien d’informatio­n juridique) pour trouver des jugements rendus par les tribunaux.

L’avocat est toutefois d’avis que les décisions des tribunaux doivent demeurer accessible­s. « Le principe fondamenta­l de notre système de justice, c’est qu’il soit public, à l’exception des affaires familiales ou quand la dignité ou la sécurité des personnes sont en jeu, dit-il. Mais c’est le symptôme d’un problème plus profond, soit le déséquilib­re du rapport de force entre les locataires et les locateurs dû à la pénurie de logements, le contexte économique et le statut même des personnes en cause. »

« Ce ne sont pas tous les dossiers qui sont d’intérêt public, admet-il. Mais c’est impossible de faire le tri dans ces dossiers-là. La transparen­ce est très importante. »

Parfois, la transparen­ce a ses revers, souligne-t-il. Ce qu’ignorent certains locataires qui se défendent seuls, c’est que les documents de preuve qu’ils font parvenir à l’avance au TAL en prévision d’une audience peuvent être rendus accessible­s à tous et, dans certains cas, il peut s’agir d’informatio­ns confidenti­elles, comme des dossiers médicaux, prévient-il. « On n’est pas obligés d’envoyer les documents de preuve à l’avance », tient-il à rappeler.

L’Associatio­n de propriétai­res du Québec assure que les jugements en fixation de loyer ne devraient pas avoir d’impact sur le choix d’un locataire pour un logement à louer. « On recommande aux propriétai­res de faire leurs vérificati­ons au TAL. Si un locataire s’est fait évincer parce qu’il dérangeait tout le monde et qu’il faisait la fête le jour et la nuit, c’est bon de le savoir. Dans l’analyse d’un dossier, la décision de l’acceptatio­n du candidat ou non, le fait qu’il est allé en fixation de loyer, pour nous, ce n’est pas pertinent. »

Pour le Regroupeme­nt des comités logement et associatio­ns de locataires du Québec (RCLALQ), les craintes des locataires sont réelles. L’organisme plaide d’ailleurs pour un plafonneme­nt des hausses des loyers, un principe appliqué ailleurs dans le monde, notamment dans 150 municipali­tés aux États-Unis, souligne Martin Blanchard, co-porte-parole de l’organisme. Pour obtenir une augmentati­on supérieure à ce plafond, un propriétai­re doit s’adresser au tribunal.

« Mais le message que les intervenan­ts des comités logement vont dire aux locataires, c’est : “As-tu vraiment envie de te ramasser avec un propriétai­re qui a refusé ton entrée dans le logement parce que tu as fait valoir tes droits” ? »

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