Le Devoir

Québec, société « distincte »

Si vraiment on s’intéresse à notre « identité », il serait temps de planifier une transition juste et équitable pour tous

- Mélanie Lemay L’autrice est cofondatri­ce de Québec contre les violences sexuelles et « artiviste » pour le documentai­re Pour une culture du consenteme­nt.

Si un jour le Québec devient souverain, j’aimerais que ce le soit parce qu’on a décidé de bâtir des ponts plutôt que de semer la division. Qu’en tant que nation, on a décidé de se lever et d’être à l’avant-scène de la transition énergétiqu­e, des cours d’éducation sexuelle et du processus de réconcilia­tion avec un cadre de vie commun fondé sur le respect. Pendant que nos politicien­s déchirent leurs chemises sur des feux de paille, je réfléchis à qui je suis et à l’endroit où je me situe sur ce grand échiquier.

Mon grand-père a falsifié ses papiers afin d’entrer dans l’armée à 14 ans lors de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’est battu pour notre démocratie au nom de la Couronne britanniqu­e, car il a répondu à l’appel de Winston Churchill avant l’appel sous les drapeaux ici. Ma mère a quant à elle directemen­t participé à l’essor de l’économie québécoise en bâtissant un modèle de régionalis­ation de l’immigratio­n alors qu’elle venait tout juste d’apprendre le français et qu’elle avait encore un lourd accent. Grâce à elle et à toutes les familles qui ont choisi de s’établir en Beauce, plusieurs villages et entreprise­s ont réussi à demeurer ouverts.

Forte des savoirs et des expérience­s de tous mes ancêtres (tant africains qu’européens et sud-américains), j’ai voué toute ma jeunesse à une mission qui me dépasse complèteme­nt : la lutte contre les agressions sexuelles. Quand je regarde autour de moi, je vois toute une génération de jeunes bilingues, trilingues, polyglotte­s, qui ont parcouru le monde et qui rêvent de faire connaître leurs propres contributi­ons à la société. Qu’ils soient nés ici ou ailleurs. Cette majorité silencieus­e peine à trouver sa place dans une société qui creuse l’écart entre les génération­s et qui s’accroche à des modèles sociétaux d’autrefois.

Éducation, justice, mode de scrutin, environnem­ent, santé mentale : nous sommes délaissés par nos élites, qui lisent et écoutent trop d’idéologues conservate­urs (voire d’extrême droite). L’appel à la nation que M. Legault a fait lors de la dernière campagne électorale fédérale était dystopique, peu importent nos allégeance­s politiques. Personnell­ement, je ne fais plus de jaloux : je ne vote plus. Aucun parti à l’heure actuelle ne me représente, je fais partie de ces jeunes « égoïstes » qui s’impliquent dans les causes qui les interpelle­nt personnell­ement, qui voyagent et qui sont surtout ouverts sur le monde.

Si nous sommes si nombreux à ne plus écouter la télé ou à ne plus se forcer pour suivre « la joute politique », c’est peut-être le signe qu’il est temps d’écrire notre propre constituti­on sur Internet (comme l’a fait l’Islande) et de jeter aux oubliettes cette vieille façon de faire qui divise tout en semant la haine. Souhaiter réduire les inégalités à l’ère « postpandém­ie » ne devrait pas être perçu comme un échec de société, mais comme un signe de progrès. Plus que jamais, il faut se mobiliser face à l’effondreme­nt climatique à venir plutôt que d’entrer dans des « controvers­es » qui visent uniquement à conserver le « pouvoir » (ou à se battre pour l’obtenir) tous les quatre ans.

Je n’ai aucunement confiance en un mouvement de « libération » financé par l’étranger et propulsé (au moyen de l’algorithme) sur nos réseaux sociaux par l’ingérence américaine. Le leadership — le vrai — est une denrée en voie d’extinction, particuliè­rement quand on voit les écoles tomber en décrépitud­e, que certaines communauté­s n’ont toujours pas accès à l’eau potable et que le coût du panier d’épicerie ne cesse d’exploser d’une semaine à l’autre sans aucune solution viable en vue.

À l’aube d’une potentiell­e troisième guerre mondiale, nous devrions commencer à planifier une transition juste et équitable pour tous et toutes si vraiment on s’intéresse à notre « identité » québécoise. Les Québécois que je connais sont le plus souvent ouverts et curieux face à la différence. Je suis une fille de région. J’ai essayé Montréal, et partout j’ai trouvé de l’amour quand on se donnait le moindremen­t le temps de s’apprivoise­r, de discuter.

Plus que jamais, le monde est connecté. Nous avons des centaines de milliers de communauté­s en ligne, l’ensemble des savoirs de l’humanité au bout des doigts et, bien sûr, le plus laid aussi. On n’a plus d’excuses. On connaît l’histoire, il y a plein de films et de séries Netflix pour nous la rappeler. Il serait temps pour nos institutio­ns de se moderniser si elles ne souhaitent plus être dépassées, le monde est ailleurs. Il est temps de les transforme­r, car on le doit aux prochaines génération­s.

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