Le charme discret de Palm Beach
Si le froid et la neige commencent sérieusement à écorcher votre bonne humeur naturelle, c’est sans doute qu’il est temps pour vous d’aller jouer les snowbirds sous le soleil de la Floride. Ce numéro du cahier Plaisirs vous y emmène, en vous proposant quelques destinations hors des sentiers battus. Première étape : la charmante bourgade de Palm Beach, qui peut remercier les « Fab Four », fameux quatuor d’architectes de l’entre-deux-guerres, pour l’unique cachet qu’ils lui ont donné.
C’est un territoire de rien du tout, d’à peine 20 km2, coincé entre l’océan Atlantique et le lac Worth, ce tronçon de la voie navigable intracôtière qui le sépare de la plèbe. Pardon, de West Palm Beach.
C’est un îlot de poche où, au dernier compte, 54 milliardaires résident de façon permanente ou saisonnière. C’est surtout une destination floridienne à nulle autre pareille, qu’on ne visite pas tant pour écornifler chez Donald Trump, Bon Jovi ou Sylvester Stallone que pour marcher dans les pas des « Fab Four ».
Non, pas les Beatles — plutôt les quatre architectes de l’entre-deuxguerres qui ont créé l’harmonieux paysage bâti de Palm Beach en interprétant à leur manière le style Mediterranean Revival, alors en vogue. Résultat ? Une profusion de toits de tuiles à l’espagnole, de murs en stuc, de tourelles tout droit sorties de la renaissance italienne, de crépis roses et autres détails gothico-vénitiens. « Sans oublier l’usage de la coquina, un matériau typiquement floridien fait de roche corallienne », souligne la guide Leslie Driver, avec qui nous faisons une tournée architecturale.
Mar-a-Lago, un palace de 126 pièces construit pour l’héritière de General Foods dans les années 1920, évalué à 8 millions de dollars américains en 1927 et payé 5 millions par un Trump ascendant filou en 1995, a été dessiné par un membre de ce quatuor : Marion Sims Wyeth. Une aile du très chic hôtel Brazilian Court a été imaginée par son collègue, Maurice Fatio, qui a aussi conçu le manoir des Vanderbilt. Les maisons de John Volk, elles, s’élèvent sur la plupart des rues de Palm Beach, selon la Preservation Foundation.
Un « starchitecte » mondain
Toutefois, les plus belles demeures de l’île, telles la Casa de Leoni, sur l’avenue Worth, la Casa Nana, sur Billionnaire’s Row et, non loin, El Solano, l’ancienne résidence d’un autre « Fab », John Lennon, portent toutes la griffe d’Addison Mizner. « Starchitecte » de son temps, il aura façonné Palm Beach au fil des quelque 70 bâtiments privés et publics dont il l’aura dotée.
« Mizner était un architecte mondain et un excentrique au physique imposant, qui se baladait avec un singe baptisé M. Johnny Brown sur son épaule », relate Mme Driver. Le papier peint qui pare le hall orientalisant d’un hôtel emblématique de Palm Beach, The Colony, construit en 1947, soit lors du boum immobilier d’après-guerre, immortalise d’ailleurs ce M. Brown.
Pour Elisabeth Munder, porte-parole du célèbre établissement, Palm Beach se distingue d’autres villes balnéaires du fait qu’elle a été créée comme telle et n’a jamais cessé de l’être. « Cela signifie que ce n’est pas qu’un lieu de vacances où l’on ne fait que passer : des familles vivent ici depuis des générations. On y étudie, on y travaille, cela change tout », dit-elle. Des familles comme les Flagler, les Wanamaker, les Kennedy, les Lauder. Pour mémoire, Henry Morrison Flagler, jadis aux commandes de la Standard Oil et du chemin de fer de la côte est de la Floride, a joué un rôle majeur dans la création de la destination, entre autres en y construisant ses premiers hôtels.
Aujourd’hui, l’old money et quelques célébrités vivent discrètement à l’ombre des monumentales haies de cèdres qui courent sur des kilomètres et des kilomètres le long des boulevards de Palm Beach, et il n’y a guère que les étrangers curieux pour s’étirer le cou au passage, espérant entrapercevoir, derrière ces verts paravents, d’autres superbes réalisations des « Fab Four » !