Vers une justice économique et climatique
Pour l’Union des producteurs agricoles Développement international (UPA DI), l’égalité des chances est une priorité et la justice économique, une nécessité. Alors qu’une grande majorité des personnes en situation d’insécurité alimentaire vivent en milieu rural, l’organisation favorise l’économie circulaire et solidaire dans les pays du Sud.
À défaut de l’avoir goûtée, qui n’a pas entendu parler de la fameuse sauce harissa, fabriquée à partir de piments rouges séchés et particulièrement épicée ? Comme le couscous, les dattes et les olives, elle fait partie des mets traditionnels tunisiens, majoritairement transformés et préparés par des femmes. En Tunisie, les productrices et producteurs sont regroupés dans des sociétés mutuelles de services agricoles (SMSA). L’UPA DI travaille avec ces organisations pour qu’elles offrent davantage de services adaptés aux défis climatiques et destinés aux femmes transformatrices.
Une analyse environnementale a permis de recenser les menaces liées aux changements climatiques, comme l’apparition d’insectes invasifs, et les conséquences de certaines techniques agricoles dans ce pays. Des formations axées sur la sensibilisation et la pratique sont dispensées aux femmes qui en ont besoin. « Le but est de les outiller sur le plan environnemental et économique », affirme Hugo Beauregard-Langelier, secrétaire général de l’UPA DI. Côté climat, il s’agit, par exemple, de trouver des solutions pour que leur activité soit moins dépendante et moins consommatrice d’eau.
Côté économie, si plusieurs femmes ont besoin de pots pour stocker les produits qu’elles fabriquent, au lieu de les acheter individuellement, elles sont encouragées à réaliser des achats collectifs auprès des SMSA et ainsi bénéficier de meilleurs prix. « On se demande toujours comment agir face aux changements climatiques, mais de manière rentable pour les femmes et les hommes qui vont implanter ces changements, poursuit-il. On ne peut pas demander uniquement aux personnes de prendre tous les risques sans qu’il y ait un bénéfice économique derrière. Les deux sont liés. »
Au-delà de ces deux dimensions, les femmes tunisiennes vivent toujours de la discrimination et peinent à accéder à des postes à responsabilité. « On souhaite aussi qu’elles puissent s’affirmer dans leurs organisations pour devenir des gestionnaires et avoir des rôles dans les organes de gouvernance », ajoute M. Beauregard-Langelier. Le projet s’adresse directement à 4500 femmes de 6 régions de la Tunisie, et il est réalisé en collaboration avec l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) et l’Union maghrébine et nord-africaine des agriculteurs (UMNAGRI).
Miser sur l’économie circulaire
L’UPA DI soutient les organisations professionnelles agricoles dans plusieurs autres pays du Sud, où elle tient à rétablir une justice économique avec ses partenaires locaux. « En général, les agricultrices et agriculteurs ont moins eu accès à l’éducation et à de véritables opportunités, lance Hugo BeauregardLangelier. On veut leur donner ces chances pour les aider à avoir un revenu décent correspondant à un travail fondamental, celui de nourrir le reste de la population. »
Pour ce faire, l’organisation favorise l’économie circulaire, c’est-àdire une approche permettant un mouvement circulaire de l’argent au sein d’une communauté plutôt que vers l’extérieur du pays. Née il y a dix ans en Haïti, l’initiative des cantines scolaires illustre bien cette idée. « Ça a démarré dans la ville de La Brousse, très enclavée, rendant difficile la vente des aliments en dehors de la région », indique M. Beauregard-Langelier.
Pourquoi, dès lors, ne pas créer la demande au sein même de la communauté ? En s’inspirant des cuisines collectives au Québec, l’UPA DI a travaillé avec des groupes de femmes, qui achètent des produits locaux afin de les transformer en repas scolaires pour les élèves, dans les écoles. Le concept a si bien fonctionné qu’il a été étendu à d’autres régions en Haïti, qui demeure l’un des pays du monde les plus pauvres et vulnérables aux aléas naturels, et tout récemment au Sénégal.
« Paysans relais »
M. Beauregard-Langelier est d’ailleurs en mission au Sénégal, d’où il nous raconte les premiers constats liés à l’infertilité des sols, au début des années 2000. « Il y avait peu ou pas d’analyses des sols pour en connaître la composition, donc on s’est mis à les cartographier pour ajuster les niveaux d’acidité et les types d’engrais », explique-t-il.
La majeure partie des terres arables y est considérée comme aride ou semi-aride. Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ces terres sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques ainsi qu’aux dégâts causés par une surexploitation et des pratiques agricoles non durables. Le niveau de dégradation des terres au Sénégal a atteint 34 %, d’après un rapport de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD).
Le projet Dekkal Suuf (redonner vie à la terre, en langue wolof) a ainsi vu le jour, avec la mise en place de « clubs conseil » en santé des sols, portés par des « paysans relais ». Une fois formés, ces productrices et des producteurs locaux transmettent leurs connaissances à d’autres membres de la communauté agricole. Des techniques liées à la gestion de l’eau, à la régie des cultures et aux prévisions météorologiques sont également enseignées, de même que des pratiques agricoles adaptées aux changements climatiques.
Pour que les paysans soient le plus indépendants possible des importations, des recettes de biopesticides, notamment dans les régions productrices d’arachides, ont été développées. « On se dit qu’on a vu juste, quand on voit les pénuries d’engrais liées à la guerre en Ukraine », souligne Hugo Beauregard-Langelier.
Le secrétaire de l’UPA DI rappelle que les interventions de l’organisation sont toujours réalisées en coréalisation avec les partenaires locaux sur le terrain, selon une approche de décolonisation de l’aide, appliquée depuis sa création en 1993. Un suivi régulier à distance et par l’entremise de missions ponctuelles est préféré à la présence d’expatriés qui coordonnent les projets. « On voit de grands bénéfices, car les partenaires sont impliqués dans toutes les étapes », conclut-il. Si cette approche n’est pas parfaite, de ses propres mots, elle constitue un pas dans la bonne direction.
En s’inspirant des cuisines collectives au Québec, l’UPA DI a travaillé avec des groupes de femmes qui achètent des produits locaux afin de les transformer en repas scolaires pour les élèves, dans les écoles