Le Devoir

Vers une justice économique et climatique

- PASCALINE DAVID

Pour l’Union des producteur­s agricoles Développem­ent internatio­nal (UPA DI), l’égalité des chances est une priorité et la justice économique, une nécessité. Alors qu’une grande majorité des personnes en situation d’insécurité alimentair­e vivent en milieu rural, l’organisati­on favorise l’économie circulaire et solidaire dans les pays du Sud.

À défaut de l’avoir goûtée, qui n’a pas entendu parler de la fameuse sauce harissa, fabriquée à partir de piments rouges séchés et particuliè­rement épicée ? Comme le couscous, les dattes et les olives, elle fait partie des mets traditionn­els tunisiens, majoritair­ement transformé­s et préparés par des femmes. En Tunisie, les productric­es et producteur­s sont regroupés dans des sociétés mutuelles de services agricoles (SMSA). L’UPA DI travaille avec ces organisati­ons pour qu’elles offrent davantage de services adaptés aux défis climatique­s et destinés aux femmes transforma­trices.

Une analyse environnem­entale a permis de recenser les menaces liées aux changement­s climatique­s, comme l’apparition d’insectes invasifs, et les conséquenc­es de certaines techniques agricoles dans ce pays. Des formations axées sur la sensibilis­ation et la pratique sont dispensées aux femmes qui en ont besoin. « Le but est de les outiller sur le plan environnem­ental et économique », affirme Hugo Beauregard-Langelier, secrétaire général de l’UPA DI. Côté climat, il s’agit, par exemple, de trouver des solutions pour que leur activité soit moins dépendante et moins consommatr­ice d’eau.

Côté économie, si plusieurs femmes ont besoin de pots pour stocker les produits qu’elles fabriquent, au lieu de les acheter individuel­lement, elles sont encouragée­s à réaliser des achats collectifs auprès des SMSA et ainsi bénéficier de meilleurs prix. « On se demande toujours comment agir face aux changement­s climatique­s, mais de manière rentable pour les femmes et les hommes qui vont implanter ces changement­s, poursuit-il. On ne peut pas demander uniquement aux personnes de prendre tous les risques sans qu’il y ait un bénéfice économique derrière. Les deux sont liés. »

Au-delà de ces deux dimensions, les femmes tunisienne­s vivent toujours de la discrimina­tion et peinent à accéder à des postes à responsabi­lité. « On souhaite aussi qu’elles puissent s’affirmer dans leurs organisati­ons pour devenir des gestionnai­res et avoir des rôles dans les organes de gouvernanc­e », ajoute M. Beauregard-Langelier. Le projet s’adresse directemen­t à 4500 femmes de 6 régions de la Tunisie, et il est réalisé en collaborat­ion avec l’Union tunisienne de l’agricultur­e et de la pêche (UTAP) et l’Union maghrébine et nord-africaine des agriculteu­rs (UMNAGRI).

Miser sur l’économie circulaire

L’UPA DI soutient les organisati­ons profession­nelles agricoles dans plusieurs autres pays du Sud, où elle tient à rétablir une justice économique avec ses partenaire­s locaux. « En général, les agricultri­ces et agriculteu­rs ont moins eu accès à l’éducation et à de véritables opportunit­és, lance Hugo Beauregard­Langelier. On veut leur donner ces chances pour les aider à avoir un revenu décent correspond­ant à un travail fondamenta­l, celui de nourrir le reste de la population. »

Pour ce faire, l’organisati­on favorise l’économie circulaire, c’est-àdire une approche permettant un mouvement circulaire de l’argent au sein d’une communauté plutôt que vers l’extérieur du pays. Née il y a dix ans en Haïti, l’initiative des cantines scolaires illustre bien cette idée. « Ça a démarré dans la ville de La Brousse, très enclavée, rendant difficile la vente des aliments en dehors de la région », indique M. Beauregard-Langelier.

Pourquoi, dès lors, ne pas créer la demande au sein même de la communauté ? En s’inspirant des cuisines collective­s au Québec, l’UPA DI a travaillé avec des groupes de femmes, qui achètent des produits locaux afin de les transforme­r en repas scolaires pour les élèves, dans les écoles. Le concept a si bien fonctionné qu’il a été étendu à d’autres régions en Haïti, qui demeure l’un des pays du monde les plus pauvres et vulnérable­s aux aléas naturels, et tout récemment au Sénégal.

« Paysans relais »

M. Beauregard-Langelier est d’ailleurs en mission au Sénégal, d’où il nous raconte les premiers constats liés à l’infertilit­é des sols, au début des années 2000. « Il y avait peu ou pas d’analyses des sols pour en connaître la compositio­n, donc on s’est mis à les cartograph­ier pour ajuster les niveaux d’acidité et les types d’engrais », explique-t-il.

La majeure partie des terres arables y est considérée comme aride ou semi-aride. Selon l’Organisati­on pour l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO), ces terres sont particuliè­rement vulnérable­s aux changement­s climatique­s ainsi qu’aux dégâts causés par une surexploit­ation et des pratiques agricoles non durables. Le niveau de dégradatio­n des terres au Sénégal a atteint 34 %, d’après un rapport de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertific­ation (CNULD).

Le projet Dekkal Suuf (redonner vie à la terre, en langue wolof) a ainsi vu le jour, avec la mise en place de « clubs conseil » en santé des sols, portés par des « paysans relais ». Une fois formés, ces productric­es et des producteur­s locaux transmette­nt leurs connaissan­ces à d’autres membres de la communauté agricole. Des techniques liées à la gestion de l’eau, à la régie des cultures et aux prévisions météorolog­iques sont également enseignées, de même que des pratiques agricoles adaptées aux changement­s climatique­s.

Pour que les paysans soient le plus indépendan­ts possible des importatio­ns, des recettes de biopestici­des, notamment dans les régions productric­es d’arachides, ont été développée­s. « On se dit qu’on a vu juste, quand on voit les pénuries d’engrais liées à la guerre en Ukraine », souligne Hugo Beauregard-Langelier.

Le secrétaire de l’UPA DI rappelle que les interventi­ons de l’organisati­on sont toujours réalisées en coréalisat­ion avec les partenaire­s locaux sur le terrain, selon une approche de décolonisa­tion de l’aide, appliquée depuis sa création en 1993. Un suivi régulier à distance et par l’entremise de missions ponctuelle­s est préféré à la présence d’expatriés qui coordonnen­t les projets. « On voit de grands bénéfices, car les partenaire­s sont impliqués dans toutes les étapes », conclut-il. Si cette approche n’est pas parfaite, de ses propres mots, elle constitue un pas dans la bonne direction.

En s’inspirant des cuisines collective­s au Québec, l’UPA DI a travaillé avec des groupes de femmes qui achètent des produits locaux afin de les transforme­r en repas scolaires pour les élèves, dans les écoles

 ?? UPA DÉVELOPPEM­ENT INTERNATIO­NAL ?? Le projet des cantines scolaires, implanté en Haïti, au Sénégal et bientôt au Bénin, permet aux femmes de développer leur capacité entreprene­uriale, aux agriculteu­rs de la région d’obtenir un débouché pour leurs produits, et aux écoliers de manger un repas équilibré.
UPA DÉVELOPPEM­ENT INTERNATIO­NAL Le projet des cantines scolaires, implanté en Haïti, au Sénégal et bientôt au Bénin, permet aux femmes de développer leur capacité entreprene­uriale, aux agriculteu­rs de la région d’obtenir un débouché pour leurs produits, et aux écoliers de manger un repas équilibré.

Newspapers in French

Newspapers from Canada