Le Devoir

L’INEE ou la nécessité de connaître pour mieux décider

- Clermont Gauthier, Steve Bissonnett­e et Mario Richard Le premier est professeur émérite de l’Université Laval ; les deux autres professeur­s titulaires à l’Université TELUQ.

Affirmons-le d’entrée de jeu : nous saluons le projet de création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE). Au-delà de toutes les peurs évoquées par certains depuis quelques jours, l’argument principal justifiant la mise sur pied d’un tel organisme est le suivant : on ne peut diriger efficaceme­nt le fonctionne­ment de quelque organisme que ce soit sans disposer de données fiables sur la performanc­e du système. On ne peut se fonder sur des impression­s ou sur des ouï-dire quand il s’agit de piloter un système aussi important que celui de l’éducation en milieu scolaire.

Tant qu’on ne sait rien, tant qu’on ne s’appuie pas sur des faits avérés, on peut affirmer n’importe quoi. C’est précisémen­t là que réside le danger réel. C’est ce qui s’est passé lors de la dernière réforme en éducation : pour régler le problème des élèves en difficulté et celui du décrochage, on a mis en avant le socioconst­ructivisme et la pédagogie par projet. C’était le discours à la mode en 2000, mais la recherche empirique sérieuse n’allait pas du tout dans ce sens, et l’efficacité de ces moyens pour traiter ces problèmes était loin d’être démontrée. Il aurait été surprenant d’entendre le Conseil supérieur s’inscrire en faux contre cette réforme, son bras ouvrier en était l’ancien président !

Certains ont formulé des critiques indiquant que l’État ne devrait pas se mêler de pédagogie. Le problème ne réside cependant pas là. L’État peut se mêler de pédagogie, mais il doit être adéquateme­nt informé s’il décide de s’en mêler. Or, lors de la dernière réforme, il ne disposait pas des ressources avisées pour ce faire. C’est pourquoi nous pensons que la création d’un tel institut colligeant des données fiables, analysant des recherches solides et produisant des synthèses de recherche pourrait combler ce manque. Il pourrait ainsi permettre à l’État de se fonder sur des données crédibles et lui éviter de naviguer à l’aveuglette. C’est fondamenta­l.

En lien avec la nécessité de prendre appui sur des données probantes, il faut aussi souligner l’importance pour un État de pouvoir compter sur une structure de recherche stable, c’est-à-dire permanente. Les groupes et centres de recherche peuvent produire des travaux solides, mais ils sont toujours à la merci de l’obtention d’un financemen­t. Universita­ires, nous connaisson­s bien le rituel des demandes de subvention­s et sommes témoins de l’instabilit­é qui découle des résultats aux divers concours. Par exemple, créer un observatoi­re de la profession enseignant­e nécessiter­ait non seulement la possibilit­é d’obtenir les données précises, mais aussi celle de les recueillir sur une base longitudin­ale. Seule une structure telle qu’un Institut peut avoir les moyens d’informer de manière permanente le système sur le personnel en place, son taux de décrochage, les prévisions en personnel, etc. On aurait ainsi sans doute pu mieux prévoir les besoins en effectifs et réagir à temps.

Cela dit, l’Institut national n’étant pas encore créé, on amorcera plus tard l’étape de l’étude du projet de loi 23 décidant de sa création. Pour jouer correcteme­nt son rôle, l’Institut devra pouvoir bénéficier d’une complète autonomie face au pouvoir politique. Son existence se justifie précisémen­t par cette indépendan­ce, qui rend ses travaux et ses analyses dignes de confiance. Nous voyons le rôle de cet Institut un peu comme celui de Statistiqu­e Canada, qui produit des données fiables sur la société canadienne tout en conservant une distance par rapport au pouvoir politique. De la même manière l’Institut produit des études sur le système éducatif ou produit des synthèses de recherches, sur l’enseigneme­nt, sur la formation initiale ou continue, sur le décrochage, sur l’évaluation ou sur tout autre sujet important. Il peut brosser un portrait d’une situation ou faire des recommanda­tions au sujet de stratégies à privilégie­r, mais c’est l’État en fin de compte qui y donnera suite ou non, et ce, de la manière qu’il jugera appropriée.

Toutefois, l’État et l’INEE devront s’assurer de toujours maintenir une saine distance l’un face à l’autre et l’INEE devra absolument conserver cette indépendan­ce face au pouvoir politique pour assurer à la fois sa crédibilit­é et un fonctionne­ment optimal. Quels mécanismes devront être mis en place pour y parvenir ? Voilà l’un des défis les plus importants auxquels fera face ce nouvel organisme.

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